« Shame » de Steve McQueen avec Michael Fassbender – critique
« Shame » est le second long métrage de Steve McQueen, à l’homonyme tellement classe que ce jeune réalisateur black britannique se devait d’exceller dans la mise en scène. Après avoir remporté la caméra d’or à Cannes en 2009 avec « Hunger« , permettant au monde de découvrir Michael Fassbender, McQueen revient avec son acteur sur un tout autre sujet, l’addiction au sexe.
Fassbender interprète un baiseur fou dont le train train est bouleversé quand sa petite soeur débarque en ville pour squatter chez lui.
Et comme à son habitude, McQueen va laisser le temps au récit de se construire, n’hésitant pas à substituer les silences et la gymnastique du corps et des regards à certains dialogues. Et de nous livrer un film d’atmosphères, un film à l’image très léchée.
Le film présente les couleurs pales d’un monde de limbes, ce purgatoire de la mythologie grecque. Pourquoi ce personnage s’est il perdu ? La couleur pâle des scènes, la couleur du vide, sera aussi celle de l’absence de personnalité du personnage. Ce dernier n’a aucune passion à part le sexe, aucun ami, aucune famille à part cette soeur venue d’ailleurs, aucune racine. Il a créé sa bulle, son monde aseptisé, un appartement blanc et sans âme, mais qui lui sert de lieu d’isolation. C’est d ailleurs pour cette raison que la présence de sa soeur le gêne, elle viole son intimité et son quotidien de baise. Elle amène de l’affectif là où il a réussi à faire le vide.
La scène du restaurant est excellente car elle montre sa tentative d’échapper au sexe triste, d’essayer une relation normale, humaine, avec de la drague autre que corporelle. Et il se heurtera rapidement à une impossibilité de communiquer, à une chute de libido lorsqu’il n est pas dans le sexe machinal.
« Shame » est donc l’histoire d’un homme seul qui s’est construit une prison à force de sombrer dans cette drogue qui le coupe de toute sociabilité, à savoir le sexe. Il en oublie sa soeur, qui devient un poids plus qu’une aide. On ne sait d’où viennent le frère et la soeur, sauf que leurs origines ont l’air modestes et leur enfance sombre. Et les adultes qu’ils sont devenus sont complétement largués à leur manière. Ils souffrent alors même qu’ils semblent avoir tout, une intelligence, un boulot, de beaux corps et visages, une prestance. Mais de relief il n’y en n’a pas.
Steve McQueen aborde une critique détournée du consumérisme et de la société zapping, laissant derrière elles des gens isolés et perdus. Sans tant de fond que cela.
Michael Fassbender a remporté grâce à ce rôle le prix d’interprétation au dernier festival de Venise. Et pour le coup, on comprend pourquoi, son jeu est bluffant et son rôle probablement difficile à interpréter.
Mcqueen utilise admirablement le corps de Fassbender, corps qui exprime davantage la souffrance que la jouissance avec cette fuite en avant dans du sexe désincarné. On en vient à éprouver une profonde empathie pour cet être déconnecté de toute joie, qui s’accroche à sa seule éjaculation pour rythmer sa vie.
Le plaisir semble se focaliser de plus en plus sur la conquête, l’acte en lui même n’étant qu’un enchaînement mécanique. Comme si la virilité du personnage ne pouvait que s’exprimer en laissant l’animal prendre le dessus. Un être devenu asocial dans la société cynique d’aujourd’hui, qui cherche à se raccrocher aux branches de sa bestialité pour se prouver qu’il existe. Un constat d’échec des rapports humains assez alarmant. Le personnage de son boss donne d’ailleurs le revers d’une certaine hypocrisie sociale. Le personnage de Fassbender exècre d’ailleurs les faux semblants car seule cette réalité crue lui semble avoir une consistance et des reliefs auxquels se rattacher plutôt que de sombrer. On sort du film un peu décontenancé et heureux d’avoir une vie sociale ancrée dans la réalité. Le danger qui guette l’homme moderne est d’oublier ce qui forme le tissu social, au delà des rapports futiles. C’est le message assez juste et universel que Steve Mcqueen réussit brillamment à démontrer dans ce film qui fera date.
Après le très bon « hunger » du même Steve McQueen, nous aurons le plaisir de retrouver le jeune réalisateur anglais et son acteur fétiche une troisième fois, avec Brad Pitt dans « twelve years a slave« , dont le tournage aura lieu au printemps 2012. Autant dire que suivre l’évolution artistique de ce couple de cinéma sera l’un des grands rendez-vous de 2013.
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