Les meilleurs films de l’année 2011 du blanc lapin – partie 2 (N°7 à N°1)
Voici la seconde partie du dossier bilan de mes films préférés sur 2011. Bien entendu, je n’ai ni le bon goût ni l’outrecuidance de penser avoir tout vu. Disons que je sélectionne les films en fonction de leur parcours (que j’étudie bien en amont) et de leur accueil (même si je ne lis plus les critiques avant d’avoir rédigé la mienne). Sur cinquante films vus cette année au cinéma, je pense en avoir ratés assez peu. C’est disons le cas tous les ans puisque je vois les éventuels loupés par la suite et qu’il y a rarement de « grand oublié ». Mais si vous en notez, n’hésitez pas à me le signaler !
Voici donc mes 7 préférés, enfin 8…
N°7 – « Incendies » de Denis Villeneuve
Voici donc le film de Denis Villeneuve qui a beaucoup fait parler de lui avant sa sortie tant son accueil fut bon partout dans le monde, y compris en étant nominé aux oscars. Le réalisateur opte pour un scénario recelant un drame à multiples fonds, chacun enfonçant un peu plus le spectateur dans l’émotion des diverses révélations qui vont jalonner le film. Au fil de l’enquête de ces deux frères et soeurs sur leur mère disparue, plusieurs thèmes vont être évoqués et entremêlés.
Le postulat de départ est assez malin puisque le film ne cite pas le pays du moyen orient où la mère a vécu avant de s’enfuir au Québec. L’effet immédiat est que l’on se trouve un peu perdu, en attente de savoir quel pays est pris en exemple. Il s’agit bien entendu du Liban et de sa lutte fratricide entre musulmans et catholiques. Mais l’atmosphère d’enquête dans ce pays dont on ne cite jamais le nom est posée, une guerre honteuse qu’on veut oublier. Le périple commence alors dans le passé de cette mère décédée et mystérieuse. Chaque avancée du récit atteint alors son but puisque tous les sens sont en éveil et que l’on suit la fille de cette femme par un montage habile entre passé et présent. C’est un film sur le deuil, les deuils. Celui d’une femme pour sa vie gâchée au nom d’un idéal, celui d’enfants pour une mère qui les a doublement abandonnés et ne les retrouvera que par delà la mort. Un film sur le pardon. Pardonner à ses bourreaux pour revivre ou plutôt laisser ses enfants revivre. Film sur l’importance de la filiation et de la connaissance de ses parents pour se constituer une identité, une base pour se propulser en avant, comprendre les erreurs et les choix des ainés pour créer son propre cadre, forcément construit en creux, en confrontation avec les parents. « Incendies » utilise certes des ficelles parfois pompières mais atteint son but, bouleverser le spectateur et le laisser blafard. Un excellent film.
N°6- « The artist » , Michel Hazanavicius
Avec « the artist » , Michel Hazanavicius a fait forte sensation au dernier festival de cannes, et créé la surprise. Hazanavicius ose un pari risqué et gonflé, en sortant un film muet en noir et blanc en 2011 ! Idée de génie, pas novatrice car déjà tentée par le passé mais toujours avec lourdeur…
Il faut dire qu’associer cinéma muet à comique burlesque façon Buster Keaton, Laurell et Hardy ou Chaplin, c’est oublier toute la poésie de cette époque là du septième art, toute l’écriture et la mise en scène qui font qu’un Fritz Lang muet ou parlant demeure une claque inaltérable avec le temps. Takeshi Kitano avait compris et porté à son paroxysme la richesse de ces silences dans le très beau « l’été de kikujiro« . Mais ici Hazanavicius frappe plus fort et livre un hommage très émouvant au cinéma à travers une histoire simple mais écrite avec finesse, basée sur le jeu sans fausses notes de ses acteurs. Jean Dujardin mérite amplement son prix d’interprétation cannois, commençant par jouer de son visage élastique pour caricaturer l’acteur de cinéma muet et glissant doucement mais surement vers une palette de jeu bien plus nuancée, au point d’en devenir un personnage extrêmement émouvant de loser. Face à lui, Berenice Bejo est confondante de justesse et crève l’écran au point de nous faire penser au fait qu’on ne la voit pas assez sur les écrans. Il nous rappelle de manière assez déroutante qu’un bon film n’a pas besoin de technique et de 3D mais juste d’un scénario solide entourés d’acteurs inspirés. Mais ce serait sans compter sur la mise en scène de l’auteur, sa dramaturgie. Il sait raconter des histoires et arrive à s’imprégner des tics d’un cinéma mort pour mieux nous démontrer que ce dernier bouge encore et qu’il s’est juste transformé et entouré de techniques de plus en plus élaborées. Hazanavicius, qui nous a fait mourir de rire avec ses irrespectueux « Oss 117 » choisit d’illustrer son film en contant une histoire d’amour, sous forme de drame et non de comédie. On rit peu durant la projection mais c’est la tendresse pour les personnages et leur profonde humanité qui touche de façon évidente et surprend d’autant plus qu’on n’attendait ni Hazanavicius ni Dujardin sur ce créneau. Un exercice de style casse gueule qui aboutit à un film ambitieux, généreux et d’une nostalgie ultra classe.
N°5 – « Shame » de Steve McQueen
« Shame » est le second long métrage de Steve McQueen, à l’homonyme tellement classe que ce jeune réalisateur black britannique se devait d’exceller dans la mise en scène. Après avoir remporté la caméra d’or à Cannes en 2009 avec « Hunger« , permettant au monde de découvrir Michael Fassbender, McQueen revient avec son acteur sur un tout autre sujet, l’addiction au sexe.
Fassbender interprète un baiseur fou dont le train train est bouleversé quand sa petite soeur débarque en ville pour squatter chez lui.
Et comme à son habitude, McQueen va laisser le temps au récit de se construire, n’hésitant pas à substituer les silences et la gymnastique du corps et des regards à certains dialogues. Et de nous livrer un film d’atmosphères, un film à l’image très léchée.
Le film présente les couleurs pales d’un monde de limbes, ce purgatoire de la mythologie grecque. Pourquoi ce personnage s’est il perdu ? La couleur pâle des scènes, la couleur du vide, sera aussi celle de l’absence de personnalité du personnage. Ce dernier n’a aucune passion à part le sexe, aucun ami, aucune famille à part cette soeur venue d’ailleurs, aucune racine. Il a créé sa bulle, son monde aseptisé, un appartement blanc et sans âme, mais qui lui sert de lieu d’isolation. C’est d ailleurs pour cette raison que la présence de sa soeur le gêne, elle viole son intimité et son quotidien de baise. Elle amène de l’affectif là où il a réussi à faire le vide. Steve McQueen aborde une critique détournée du consumérisme et de la société zapping, laissant derrière elles des gens isolés et perdus. Sans tant de fond que cela.
Mcqueen utilise admirablement le corps de Fassbender, corps qui exprime davantage la souffrance que la jouissance avec cette fuite en avant dans du sexe désincarné. On en vient à éprouver une profonde empathie pour cet être déconnecté de toute joie, qui s’accroche à sa seule éjaculation pour rythmer sa vie.
Le plaisir semble se focaliser de plus en plus sur la conquête, l’acte en lui même n’étant qu’un enchaînement mécanique. Comme si la virilité du personnage ne pouvait que s’exprimer en laissant l’animal prendre le dessus. Un être devenu asocial dans la société cynique d’aujourd’hui, qui cherche à se raccrocher aux branches de sa bestialité pour se prouver qu’il existe. Un constat d’échec des rapports humains assez alarmant. On sort du film un peu décontenancé et heureux d’avoir une vie sociale ancrée dans la réalité. Le danger qui guette l’homme moderne est d’oublier ce qui forme le tissu social, au delà des rapports futiles. C’est le message assez juste et universel que Steve Mcqueen réussit brillamment à démontrer dans ce film qui fera date.
N°4 – « Polisse » de Maiwenn
Avec ce quotidien de la Brigade de Protection des Mineurs, Maiwenn s’attaque à des sujets sensibles que sont la pédophilie, l’inceste, le viol de mineurs, la maltraitance physique. Autrement dit, un sujet casse gueule qui peut verser très vite dans le pathos.
Maiwenn Le Besco confirme après « le bal des actrices » sont talent évident de mise en scène de personnages et de direction d’acteurs avec un naturel confondant. Karin Viard est décidément l’une des meilleures actrices de sa génération. Joey Star trouve à nouveau un rôle extrêmement touchant et charismatique, à mille lieux de l’image de la star incontrôlable qu’il fut, il est très juste. On s’y croirait et l’aspect pseudo documentaire fait évidemment penser au brillant « L. 627 » de Bertrand Tavernier. Notamment parce que Maiwenn s’est inspirée de faits réels et que cette réalité dépasse la fiction et nous explose à la gueule dans certaines scènes déchirantes, lourdes d’émotions mais jamais de misérabilisme. Ces flics trop humains qui font face à des affaires extrêmement dures sur enfants, nous redonnent de l’humain en intraveineuse à travers leur quotidien.
Alors on peut reprocher à Maiwenn d’être une fausse modeste. Elle ne peut s’empêcher de se mettre en avant et de tomber dans le narcissisme en créant un rôle taillé pour elle, égocentré et caricatural, assez inutile et même agaçant. Allant jusqu’à nous montrer toute sa famille…sans grand intérêt pour l’histoire. Il est possible aussi de ne pas adhérer à ce patchwork d’histoires que l’on suit sans aller au bout, sous forme d’un espèce de zapping du glauque. Mais ce serait un peu se gâcher le plaisir d’un film choral très réussi, bien documenté et crédible et surtout très bien interprété, ponctué de scènes très drôles au demeurant.
Le film est violent par les mots et les situations mais il donne à voir systématiquement l’ambivalence de chacun de ces flics. Leur côté obscur, leurs contradictions, les traumas sécrétés par leur métier et le débordement de ce dernier sur leur vie personnelle, tout ceci permet d’embraser le film, de lui donner un souffle et une vigueur qui force le respect.
N°3 – « J’ai rencontré le diable » de Kim Ji-Woon
Pour se transcender et défier la vieillesse et la mort, exceller dans un domaine pour se démarquer et se sentir moins seul ? Autant de questions que le film pose sans y répondre forcément, ou bien par allégories. Darren Aronofsky livre donc un film extrêmement riche et puissant, une réussite majeure qui le place parmi les plus grands.
N°2 – ex æquo - « Drive » de Nicolas Winding Refn
Il est toujours émouvant de voir un auteur au style unique se révéler au grand public et récolter les grands prix, monter une marche de plus et s’imposer comme un grand, un très grand.
Au dernier festival de cannes, on attendait le réalisateur suédois de la trilogie « pusher« , de l’excellent « bronson » et du barré « whalla rising, le guerrier silencieux« .
Mais ce fut une surprise tout de même. Car c’est avec un film d’action, son premier film hollywoodien, que Nicolas Winfing Refn réalise son meilleur opus, son premier chef d’oeuvre.
Il est rare d’être frappé d’une telle cohérence, d’une telle évidence. Et Winding Refn utilise pour cela tous les codes du genre qu’il a si bien digérés. J’ai pensé à David Cronenberg pour le brio de la mise en scène, le même qui m’avait éclaboussé sur « history of violence ». Une histoire très banale mais un film majeur.
Et puis à David Lynch pour ces temps ralentis bercés d’une bande originale de haute tenue et tailladés de saillies bien sanglantes. Et puis des courses poursuites de voitures comme les deux ou trois du film, on n’en n’avait pas vu depuis combien de temps ? Très honnêtement je ne me souviens plus. En fait les courses de voitures m’ennuient profondément tant elles sont des passages obligés désincarnés de certains films du genre. Ici la tension est prégnante tout au fil du long métrage mais elle suit la vitesse du véhicule.
Et puis « drive », c’est la mise en lumière d’un immense acteur qu’on annonce de films en films comme la révélation des 12 derniers mois. Ryan Gosling est impressionnant. Ses dialogues se résument à quinze phrases mais il crève l écran. Pourtant, ce n’était pas gagné avec un blouson en cuir avec un scorpion dans le dos. Un rôle en or pour Nicolas Cage dans un de ses multiples nanars récents. Mais ici, Ryan Gosling est mâle, très mâle.
A star is born. Oui, il faudra compter avec Ryan Gosling et c’est tant mieux, pauvres cinéphiles que nous sommes, dépendant de la chance.
Bien que je sois un fan inconditionnel de Terrence Malick, la palme d’or n’aurait pas du revenir à son « tree of life » mais bien au « drive » de Nicolas Winding Refn.
And the winner is…
N°1 – « Rabbit Hole » de John Cameron Mitchell
Avec « Rabbit Hole« , John Cameron Mitchell signe son meilleur film et le retour au sommet de Nicole Kidman, qui, vous ne serez pas surpris, nous livre une prestation magistrale. Je ne l’avais pas vue aussi fébrile et dure depuis le « Eyes wide shut » de Stanley Kubrick.
Mais face à elle, Aaron Eckhart trouve un rôle à la mesure de son talent et ne démérite pas un instant. Il s’agit peut être de son meilleur rôle jusqu’à présent.
Avec un sujet pareil, le réalisateur a choisi un thème casse gueule, rarement abordé au cinéma et davantage au petit écran via des téléfilms ou des séries dont certaines (comme six feet under) n’hésitaient pas à traiter de la chose bien qu’elle ne soit pas franchement attractive en terme d’audience.
Et John Cameron Mitchell retrouve la recette de ses deux précédents essais « Hedwig and the angry Inch... » et « Shortbus » à savoir poser des questions simples crument, sans tabous. Dans « Shortbus », le spectateur voyait les acteurs se livrer à des scènes de sexe pornographiques mais ne retenait non pas du voyeurisme mais plutôt de la joie, de la jouissance et l’explosion des émotions et des tourments des personnages, qui se posaient beaucoup de questions existentielles entre quelques scènes un peu crues. Un sentiment étrange qui faisait disparaitre très rapidement le côté mal à l’aise des premières minutes. C’est comme si la sincérité avec laquelle le réalisateur explosait les tabous permettait tout de suite de franchir une étape pour aller plus loin dans l’exploration des personnages, non sans pudeur, juste sans voiles inutiles. Ici, il n’existe pas de mise en abime de la tragédie. Le metteur en scène estime que vous avez lu le pitch et que vous êtes assez grand pour comprendre ce qui s’est passé. Pas la peine de mettre en scène la mort de l’enfant. Ceci pour le coup aurait été du voyeurisme.
Non, ici il est question de deuil ou plutôt d’absence de deuil définitif. Comment exprimer ses émotions lorsque le pire vous arrive à savoir perdre votre enfant, très jeune.
La retenue des personnages est toujours contrebalancée par une violence sous-jacente mais jamais par un jeu d’acteur cherchant la performance façon « actors studio ».
Non, John Cameron Mitchell préfère utiliser l’humour noir par ci par là, une musique douce, des couleurs vives car la vie se poursuit, qu’il continue de faire beau temps.
La vie continue et les autres avancent tandis que le temps est figé ou qu’il bégaie pour les parents. Le manque et la tristesse se rappelant toujours à la mémoire, devenant simplement différents, évoluant, se transformant.
Le long métrage ne cherche pas à démontrer quoique ce soit, juste à filmer l’évidence, on ne partage pas la peine des autres, les personnes qui entourent une famille endeuillée de cette façon ne peuvent pas apporter grand-chose. Et les « survivants » font mine d’accepter ces politesses comme réconfortantes mais ceci reste du lien social, rien de plus. La peine est bien encrée et ne disparaitra pas. Il faut l’accepter et vivre avec.
On est seul face au drame même en couple, même au milieu d’autres parents touchés par ce malheur. Chaque deuil est personnel.On peut se raccrocher à Dieu mais quand on n’y croit pas il faut trouver autre chose et c’est ce que fait le personnage de Nicole Kidman. Le film n’est pas sans espoir, il n’est pas noir et sombre, non, il est plus complexe, il montre justement comment évoluent ces sentiments et comment extirper quelquechose d’un tel drame pour poursuivre sa route, même blessé de manière irrémédiable.
John Cameron Mitchell signe un film profondément universel et d’une grande finesse, d’une sensibilité touchante car non versée dans le pathos gratuit, une œuvre bouleversante qui n’utilise pas du tout les travers du mélo mais plutôt une approche psychanalytique du sujet. Un film où l’intellect est servi par des acteurs en état de grâce. L’un des grands moments de cinéma de cette année. Probablement.
Voilà, c’est finis pour cette année 2011 pleine de surprises, un excellent cru, contrairement à ce qu’écrivent certains sites. Les films de ce classement sont tous d’un excellent niveau et il m’a été délicat de les départager. Ce n’est pas tous les ans de la sorte. N’hésitez pas à découvrir vos oublis en dvd…
Je vous donne rendez-vous tous les jours bien entendu sur « De l’autre côté, perché avec le blanc lapin… » mais en particulier début janvier où je vous livrerai un avant goût de ce qui vous attend au cinéma en 2012 avec deux dossiers complets sur les films les plus attendus version blockbusters et version films d’auteurs.
Merci pour votre fidélité.
Le blanc lapin
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