Les meilleurs films du Blanc lapin 2012 – Partie 1 – N°15 à N°8
Pour la quatrième fois, voici le classement des films préférés du Blanc Lapin vus en 2012.
C’est subjectif mais comme je le dis souvent, rares sont les grands films à côté desquels je passe tant je prend les tournages en amont, je veille aux accueils critiques et je regarde tout au bout d’un moment en Dvd ou autre.
Mais c’est vrai que par exemple l’an dernier, je suis passé à côté de « Blackthorn« , magnifique western sur Butch Cassidy, qui aurait figuré dans les premières places probablement.
Bien, je vous ai remis ma critique à chaque fois, parceque c’est pas tout çà mais c’est du boulot d’écrire ! Alors pour celles et ceux que ça intéresse…
Première partie donc, N°15 à N°8 !
N°15 – Ex Aequo – Chronicle de « Josh Trank
« Chronicle » est LA surprise SF de ce début d’année puisqu’on ne l’attendait pas plus que cela. Enfin si, le buzz internet et l’excellente bande-annonce laissaient espérer une rencontre entre Cloverfield et le film de supers héros ados sympathique. Mais le nombre de déchets est tel dans le style que je reste toujours sur mes gardes.
Et bien le succès public (le film cartonne dans le monde) et critique est amplement mérité. En effet, le film de Josh Trank emprunte certes l’idée de Cloverfield appliquée au film de monstres ou de « Blair Witch »ou « paranormal activity » aux films d’horreur.
En ceci, rien d’original…sauf qu’une astuce assez maligne permet de rester dans le concept tout au long du film. Le réalisateur prend également soin de traiter les évènements extraordinaire au même niveau que les autres, ce que l’effet caméra à l’épaule du personnage principal souligne tout au long de l’histoire. Mais au delà du film concept, Chronicle reprend la thématique, chère aux supers-héros, de l’être incompris, pour la traiter de façon un peu différente. A la différence d’un Spiderman, nos trois « héros » ont certes des problèmes classiques liés à l’adolescence mais non seulement ils ne les vivent pas de la même manière mais en plus ils ne réagissent pas comme d’habitude, en cherchant à sauver le monde.
Non, ce sont des ados d’aujourd’hui, qui cherchent avant tout à plaire aux filles, à s’éclater, à porter de belles fringues et qui ne sont pas du tout adultes dans leur rapport au monde. Ils aiment une certaine futilité, un consumérisme assumé et faire la teuf. Mais leur conscience sociale est toute relative. Dès lors, pourquoi utiliser des pouvoirs pour aider les autres ? Bref, les trois branleurs que nous voyons ici se la jouent perso et c’est tout naturel chère Madame ! C’est con mais ceci donne un côté moins consensuel et gentillet. Et ça fait du bien. Alors on passe par certains clichés de l’ado rejeté de famille modeste, du mec sympa à qui tout réussit et qui est issu d’une famille bourgeoise, mais bon, ceci permet de construire une dramaturgie là où souvent dans le genre, elle se trouve expédiée en dix minutes.
Autres forces du récit, l’idée de la transmission de leurs supers pouvoirs et de leur découverte respective. C’est aussi jouissif que dans la série « Heroes » car nombreux sont ceux qui ont rêvé de posséder des pouvoirs à la Magneto et de voir comment ça fait et à quoi ça sert. Mais à la différence de la série pré-citée, on ne se perd ni dans les personnages ni dans une exposition trop longue de cette phase « découverte« . Bien entendu, la fin est classique et quelques peu décevante devant la fraicheur du début. L’essentiel est que Chronicle soit un bon divertissement, original dans son genre.
Enfin, comme tout bon film de SF, il faut un méchant pour qui on éprouve de l’empathie, qui ait des raisons et une histoire pour finir par être le bad guy. Et Dan Dehaan assure parfaitement le job. On reverra l’animal, très probablement.
Les effets spéciaux sont aussi une belle réussite. Ils restent utilisés à bon escient et de manière innovante, afin de rester des plus crédibles dans un quotidien très naturel.
Vous l’aurez compris, allez y ! C’est un film bien sympathique, efficace et plutôt malin.
N°15 – Ex Aequo – « Skyfall » de Sam Mendes
La force des James Bond avec Daniel Craig c’est Daniel Craig lui même. Un type à la gueule bien virile, ultra classe et brut de décoffrage. C’est aussi le choix de coller à la réalité, de minimiser les cascades too much qui ont parfois fait virer certains films de la saga à la parodie, faisant perdre une certaine crédibilité et certains « effets boum boum » devenant lassants.
Mais c’est l’orientation du personnage qui fonctionne très bien. Le fait de vouloir briser l’image cliché de 007 et de dévoiler une face plus sombre que fun permet de rendre ce type attachant à défaut d’amusant. Ici, peu de place aux James Bond girls mais plus à l introspection du héros, façon « Batman begins« . Le rapport de Bond à son métier, à M, est au centre de l’intrigue. Judi Dench devient le rôle secondaire au détriment salvateur des James Bond girls dont la présence reste homéopathique mais suffisante pour que le clin d’œil à la série soit présent. Depuis « Casino royale », il n’existe plus de romans de Ian Fleming à adapter. Et pour le coup, peut être que cette situation scénaristique permet d’offrir une nouvelle jeunesse au personnage.
Niveau casting, trois bons choix permettent au film d’avoir une personnalité différente des autres opus. Tout d’abord recruter Ralph Fiennes en supérieur de M était malin.
Quant à Ben Whishaw, découvert dans « Le parfum« , il interprète un nouveau Q, après une absence du personnage de plusieurs films, et il le fait avec beaucoup d’humour et de fraicheur. Le même second degré qui marque plusieurs scènes du film de références ciblées aux James Bond des années 70.
Et puis Pour réussir un bon film d’action ou de Sf, il faut un bon méchant, charismatique, humain, qui a de bonnes raisons et un passif pour expliquer sa hargne. Et en ce sens, choisir Javier Bardem, un des meilleurs acteurs au monde, est une idée géniale. On pense aux plus grands ennemis de Bond, ceux de Moonraker , le Docteur No ou encore Goldfinger. Il est impossible de ne pas tomber sous le charme de ce personnage déterminé, classieux et à fond dans sa propre mise en scène théâtrale. Bref, Bardem tente une nouvelle expérience capillaire après le « No country for old men » des frères Coen et livre un méchant mémorable, un point très fort du film.
Mais les acteurs ne font pas tout à cette réussite. Sur un scenario épuré et sans la surenchère qu’on a pu reprocher à certains films par le passé, Sam Mendes s’avère l’élément clé de la réussite de ce 23ème James Bond. C’est la première fois qu’un réalisateur de renom se colle à la franchise. Et après une filmographie variée et de très haute tenue, après même un bijou que sont « Les noces rebelles« , Sam Mendes arrive à s’emparer du mythe et l’amener vers une direction plus axée sur 007 lui même et ses questionnements, sans priver le tout de scènes d’action efficaces et directes. Il est donc possible que d’autres grands réalisateurs soient choisis par la production pour le futur. En tout cas, Skyfall m’a emballé, surpris par sa direction et sa façon de rendre hommage aux 50 ans du héros sans tomber dans la caricature. Un des meilleurs bond, assurément.
N°14- « De rouille et d’Os » de Jacques Audiard
« De rouille et d’os » est le sixième long métrage de Jacques Audiard, attendu par nombre de cinéphiles tant sa filmographie impose le respect. De « Regardes les hommes tomber » à « Un prophète« , où il faillit remporter la palme d’or il y a trois ans, Audiard a toujours su créer l’évènement, par ses thèmes, sa direction d’acteur, son sens de la fluidité du récit, entre cinéma social et polar. Tout se déroule avec une telle mécanique dans un film d’Audiard, une telle maitrise de la technique et du rythme, que l’on se trouve bluffé à chaque fois.
Marion Cotillard interprète une jeune femme victime d’amputation des deux jambes, qui va s’accrocher à une brute, un homme dur sur qui les sentiments, les responsabilités et les questionnements existentiels n’ont aucune prise, ou si peu. Et pour interpréter ce bulldozer, Audiard a choisi Matthias Schoenaerts, acteur belge qui a explosé dans le récent et excellent « Bullhead« . C’est vrai que cette rencontre improbable a quelque chose de cinégénique. Deux êtres brisés vont apprendre à s’apprivoiser l’un l’autre, à reconstruire leur vie qui vient de s’effondrer. Attention, scénario casse gueule ! Même si c’est un grand classique du cinéma, même si l’histoire surprend moins que dans les précédents opus, Audiard réussit à maintenir une tension parsemée de petits moments de grâce, à l’image du visage de Marion Cotillard, blafard, qui renait peu à peu au contact du soleil et de cet homme montagne, qui ne la prend pas en pitié et la traite comme toute autre femme.
Que ce soit dans les scènes de combats de boxe ou celles de petits boulots pas très reluisants du personnage masculin, Audiard filme cette violence avec un esthétisme juste bien dosé. C’est que cette brute est délicate parfois et que cette écorchée mutilée fut une femme dure avant…exercice difficile que de le rendre à l’écran sans tomber dans des messages pompiers.
Lorsque l’on croise quelqu’un d’amputé, on évite de regarder trop directement, gêné de donner un tel regard à la personne…ici les membres coupés sont présents tout au long du film et bien exposés. Ils y sont montrés crument pour qu’ils finissent par être acceptés par le spectateur. Ce n’est plus une handicapée mais une survivante qui reprend gout à la vie. C’est bien la première fois qu’Audiard distille autant d’optimisme dans une histoire solaire, là où il nous avait habitués à du noir bien profond. Surprenant aussi de voir contée une histoire d’amour par cet artiste si pudique à son habitude. Audiard réussit haut la main cet exercice en évitant les clichés et en conservant l’âpreté de ses histoires tout en faisant avancer l’émotion par à-coups, par des événements forts. Le jeu de Cotillard et Schoenaerts y est pour beaucoup bien sur, comme toujours chez Audiard, l’acteur est dirigé avec grande classe et minutie.
« De rouille et d’os » est un très beau film, peut être pas mon préféré d’Audiard, mais à n’en pas douter l’un des grands films de l’année.
N°13- « Cosmopolis » de David Cronenberg
David Cronenberg est au top depuis 10 ans après ses excellents « History of violence« , « Les promesses de l’ombre » et son passé inaperçu « A gangerous method« , pourtant brillant (voir classement 2012, N°7 à N°1).
Pour son nouveau film, il choisit d’adapter le roman de Don Delillo publié en 2003 avec pour star Robert Pattinson, acteur à midinettes des films Twilight, dans lesquels son personnage de vampire était totalement inexpressif au milieu de scénari proches du vide absolu.
Premier constat à la vision du film, le pari de Cronenberg et le choix qu’a fait Pattinson leur a été bénéfique mutuellement. Ils vont d’ailleurs retourner ensemble très bientôt. Pattinson est parfait dans le rôle de ce jeune milliardaire dont la vie va s’effondrer en une journée. Il est froid, blafard et juste dans le ton. Rien à redire, sa carrière est lancée chez les cinéastes qui comptent.
Cosmopolis est un film qui a surpris pas mal de critiques, tout simplement parcequ’on s’attendait à du sexe, de la violence et du Cronenberg des années 90. Or c’est plutôt le Cronenberg de Vidéodrome teinté de celui de « A dangerous method » qui nous revient. Son film est incroyablement bavard, comme sur son précèdent sur Carl Jung et Sigmund Freud. Dès lors, le spectateur se doit d’être attentif et concentré tout au long du film. Et certains discours n’ont pas forcément de sens ni de cohérence d’une scène à l’autre. Le film déroute aussi par sa quasi unité de lieu puisque ce milliardaire se rend chez son coiffeur dans sa limousine et reçoit un à un ses collaborateurs, ses maitresses, sa femme, avec qui il disserte du monde capitaliste dans lequel il vit, de sa vision du sexe, du pouvoir, de l’argent… En l’absence de lien fort entre chaque binôme et en présence d’un flot de paroles ininterrompu, sans tellement d’action, le spectateur risque de se retrouver exclu de la limousine. Ce côté abscons du long métrage, qui demande un effort qu’on fournit rarement au cinéma, laissera la moitié du public sur le bord.
Et pourtant, même si je n’ai pas tout compris, j’ai beaucoup apprécié Cosmopolis.
Après tout, qui peut se targuer, sans snobisme, de tout saisir d’un bon David Lynch ?
Mais surtout, l’important ici n’est pas tant le fond du discours, qu’on comprend assez vite, mais plutôt l’atmosphère qu’il créé. La vie de ces êtres supérieurement intelligents est morbide. Tout y est calculé au millimètre près, tout est logique, afin de ne rien laisser aux hasards de la vie. Gagner de l’argent est un jeu mais qui finit même par les lasser, par ne plus les rendre heureux, alors même qu’ils ont quitté depuis longtemps tout sens commun. A trop analyser le monde et les rapports humains comme des animaux au sang froid, pour réaliser du profit, ils ont finit par devenir des excroissances qui n’ont plus goût à rien, plus de projection possible à part une fuite en avant vers un ultra libéralisme sans bornes, sans normes, sans but que de croitre pour croitre. Allégorie pas très complexe à saisir de notre monde actuel mais message efficace.
Ce bouhaha de théories nihilistes dépeint quelques privilégiés qui évoluent lentement vers leur chute, les révoltés casseurs de ce système ultra libéral sont vus de manière peu réaliste à travers les vitres de cette limousine, de ce long corbillard qui amène le personnage de Robert Pattinson vers une mort annoncée et limite souhaitée. Cosmopolis est avant tout un film symbole de notre époque, d’un monde où la réussite et le succès ont dérapé et créé des individus totalement désensibilisés ou totalement perdus car incapables de gérer cette distanciation. Le personnage a peur de la mort mais la recherche comme une excitation, l’argent n’a pas d’importance pour lui, c’est un jeu, une logique implacable et une jouissance pure que de savoir créer de l’argent. Mais de conscience morale, d’empathie pour son prochain, il n’en n’a pas. Pour quoi faire ? Ceci ne lui apporte rien et une action doit avoir un impact immédiat. Au même titre qu’un monde où l’information circule sur la planète à la vitesse de l’éclair, sa fortune peut s’effondrer en une journée. Il est comme un joueur de roulettes dans un casino. Il vit de l’excitation de sa chute et de sa maitrise du risque. Seule la maladie peut l’emporter, dès lors il se contrôle quotidiennement par un check up. Il ne construit rien, il rejoue tout, il joue le tapis.
Quant le personnage essaie tant bien que mal de définir une relation amoureuse avec son épouse de convenance, tous les calculs mathématiques du monde n’apportent pas de solution. La naissance d’un sentiment amoureux partagé et réciproque ne se planifie pas. Tentant de s’accrocher à son passé enfantin l’espace d’une coupe de cheveux, le milliardaire golden boy retrouvera quelques minutes un sourire. Mais cette recherche perpétuelle du profit, rassurante car maitrisable, l’a rendu totalement déconnecté du monde, déconnecté de sens. Le personnage cherche donc sa mort, son assassin pour comprendre ce qui lui est arrivé, ce qui le rattacherait de nouveau à la vie. Mais l’a t il jamais su ? Cosmopolis montre les limites de cette culture du winner, cette fuite effrénée, cette peur de mourir, peur de vieillir, cette volonté de se croire immortel en s’enfermant dans cette course contre soi, mais qui finit de la même manière, sans appel vers la mort, mais seul.
Cosmopolis fait preuve d’une mise en scène et d’une direction d’acteur digne des meilleurs opus de Cronenberg mais prend le parti pris de ne pas se livrer facilement. C’est typiquement le genre de film qui vieillira peut être très bien et grandira en qualité avec les visions. Son rejet comme son adhésion n’ont d’égal que la vitalité artistique dont Cronenberg fait preuve à 69 ans.
N°12- « Argo » de Ben Affleck
Après un excellent premier film, « Gone baby gone » et un solide second, « The town », Ben Affleck confirme tout le bien qu’on pense de son choix de carrière, celui de devenir lui-même metteur en scène, et s’offrir des rôles intéressants qu’on lui boudait quelques peu.
« Argo » s’intéresse par ailleurs à un épisode historique peu connu et développé, la libération de six otages ayant fuit l’ambassade des Etats-unis à Téhéran au moment de la prise de cette même ambassade par une foule de militants iraniens soutenant Khomeini.
La première force du film est d’éviter de tomber dans les clichés du film « histoire vraie » en optant pour un traitement scénaristique très malin. Bien qu’on connaisse la fin, Affleck va nous raconter l’histoire comme un thriller, faisant monter la pression et le stress sur de petits détails. Pourtant, cette mission suicide ne s’intéresse pas au côté humain et aux histoires personnelles des six individus à faire échapper d’Iran. La première partie du film suit au contraire l’agent de la CIA, joué par Ben Affleck, et son parcours pour monter une fausse production de film de science-fiction, convaincre les autorités que son projet farfelu est finalement le moins mauvais des scénari d’exfiltration de ses compatriotes.
Pour ne pas trop s’attacher et s’identifier aux victimes, il a choisi des acteurs aux visages inconnus, ce qui est une excellente idée. Ces hommes et femmes sont donc des gens ordinaires qui n’ont tout simplement pas de bol et ont eu un réflexe de survie en fuyant l’ambassade et en se cachant dans la capitale iranienne.
L’excellent John Goodman apporte quant à lui son physique charismatique à l’homme de l’art de l’industrie cinématographique, aidé par le génial Alan Arkin en vieux producteur cynique, distillant des touches d’humour plaisantes.
Le maitre mot du succès du film est donc cette mise en scène vive, ce montage, dirigés vers un but ultime, le suspens et cadré dans un contexte politique fort et une reconstitution historique des plus crédibles. D’ailleurs, Affleck n’oublie pas dans son préambule de rappeler brièvement l’historique ayant amené à cette révolution islamique. Le rôle des Etats-Unis et de leurs alliés vis à vis de l’avènement du Shah est clairement rappelé, montrant ce dictateur vu par l’occident comme un ami à qui l’ont pardonna de scandaleuses exactions par simple intérêt pétrolier. Un recul historique bienvenu et indispensable, qui nuance beaucoup de choses dans le récit final. « Argo » bénéficie d’un tempo, d’une orchestration qui en font tant un divertissement intelligent qu’une prise de distance par rapport à nos grands principes occidentaux, sans jamais juger les révolutionnaires mais en les regardant d’un œil extérieur, conscient de la dangerosité de leurs excès et de leur absence de limites mais aussi de nos fautes dans cet engrenage.
« Argo » est donc une bonne surprise et la confirmation d’un talent de plus en plus affuté de Ben Affleck, dans la droite ligne de ses prédécesseurs, Clint Eastwood, Georges Clooney, Robert Redford et bien d’autres…des acteurs de talent qui ont bien appris sur les plateaux !
N°11- « La taupe » de Tomas Alfredson
Avec « La taupe« , Tomas Alfredson confirme le talent de mise en scène froide et méthodique qui l’avait fait connaitre avec « Morse« , film de vampires atypique où un enfant se prenait d’amitié pour une vampire adolescente.
Ici, c’est à un autre film de genre que le suédois s’attaque, tout en passant à Hollywood avec un casting quatre étoiles. Mais au final, il y est question aussi de solitudes tout comme dans Morse, peut être un fil directeur chez Alfredson…
Le film d’espionnage a débouché sur de multiples styles différents mais c’est dans les années 70 que quelques chefs d’oeuvres virent le jour sous la houlette de Francis Ford Coppola (Conversation secrète), Alan J. Pakula (Klute, A cause d’un assassinat, les hommes du Président), ou Sydney Pollack (les trois jours du Condor).
En adaptant « Tinker, tailor, soldier, Spy » de John Le Carré, spécialiste du genre, Tomas Alfredson se situe clairement dans l’hommage à ce cinéma seventies. Les histoires d’agents y prenaient leur temps, les dialogues étant souvent remplacés par des silences, des non-dits, des déductions laissées au spectateur, supposé suffisamment pertinent pour lier les scènes entre elles.
Et ici, c’est à la fois l’atout majeur et la limite du film. Certains seront largués peut être. Personnellement j’ai adoré cette façon de tisser l’histoire par des scènes décousues que le réalisateur laisse relier entre elles comme les pièces d’un puzzle. Ce petit jeu de déduction demande au spectateur d’être attentif et actif là où aujourd’hui le cinéma explique tout de manière didactique. Or tout le suspens du film repose sur cette enquête de l’agent Smiley pour découvrir la taupe infiltrée par le KGB au sein de la direction des services secrets de sa majesté, le Cirque.
Alfredson filme Gary Oldman, tout en retenue so british, dans l’un de ses meilleurs rôles. Mais il n’oublie pas que ces espions sont aussi tous d’excellents dissimulateurs, capables de tout jouer. Et c’est sur du velours que Colin Firth, Mark Strong, Tom Hardy, John Hurt, Toby Jones, ou Benedict Cumberbatch vont livrer cette performance assez bluffante car feutrée. Il nous fait plonger dans ce sinistre quotidien d’agents secrets pour lesquels la vie privée n’existe pas. Ils sont ternes, d’un teint pâle, et évoluent dans des tons beiges et gris, comme vidés de leur humanité par des années de mensonges, de dupe, de manipulations et d’enquêtes. Ils sont sans identité et leur vie semble bien triste, voués à servir le pays mais soucieux de faire partie des cinq agents faisant partie du comité stratégique. Ils sont brillants mais vivent coupés du monde dans une bulle intellectuelle orientée de façon obsessionnelle sur l’ennemi. Ils semblent dépressifs pour certains, et seul le personnage de Tom Hardy, davantage impliqué sur le terrain et plus jeune, présente encore des réactions non totalement maitrisées, des envies soudaines de morale. L’amitié n’a pas sa place et c’est ce qui détruit ces individus d’exception. Comment croire au lendemain lorsqu’on ne peut faire confiance en personne ?
Alfredson procède par petites touches de peinture pour dresser ce tableau triste et sans concession d’hommes pour lesquels la vie ne peut être normale. Le seul bonheur ne peut se résumer qu’en réussissant à surpasser leurs confrères, en excellant dans leurs objectifs, à défaut de quoi le seul espoir de respirer réside dans le passage à l’est, ce qui est le cas de cette taupe mystérieuse.
L’esthétique du film permet quant à elle de faire passer plus facilement le récit lorsqu’il s’avère un peu plus brumeux. « La taupe » est un grand film paranoiaque comme on n’en n’a pas vu depuis des lustres. Un film d’ambiances et non d’actions, pour mieux faire toucher du doigt l’intérieur de ces égos perdus dont l’idéal s’avère bien confus.
Restituer une telle complexité devait passer par une mise en scène stylisée, un montage rigoureux et un jeu d’acteur d’une grande finesse. Tomas Alfredson devrait se voir ouvrir bien grand les portes d’Hollywood après ce succès tant critique que public, d’autant qu’il n’a pas été broyé sur son premier passage et qu’il a confirmé son style méticuleux. Le premier film important de cette année 2012. A ne pas rater.
N°10- « La part des anges » de Ken Loach
La grande classe de Ken Loach est d’alterner le style de ses films et de montrer parfois des situations sociales déprimantes avec une belle politesse, celle du désespoir, qui passe par l’humour, la bonne humeur de personnages simples et résistants.
Et c’est vrai que j’ai eu le sourire aux lèvres tout au long du film. En montrant de jeunes écossais condamnés à des travaux d’intérêt général, Loach va explorer la naissance d’une camaraderie et d’une lutte de classe au milieu d’une vie sans avenir. Vous me direz qu’il n’y a rien de très nouveau…mais cette fois-ci, il choisit de nous conter une histoire lumineuse. Une histoire à la morale émouvante, où l’argent reste un moyen, pas une fin en soit, gagner le max de blé sur un coup a moins de sens que de remercier son bienfaiteur désintéressé. Les personnages refusent la violence physique et entreprennent un coup tordu pour se refaire, repartir sur des bases saines et sereines. Le film constitue en soit un beau pied de nez où les principes avares du capitalisme sont gentiment détournés par de petits robins des bois écossais aux trognes fort sympathiques.
On est dans le ton léger et drôle mais pas pour autant un film mineur de Ken Loach. Le déterminisme social est tout aussi fort mais à 76 ans, Loach se veut combatif et optimiste. Et le regard tendre pour ses personnages paumés et exclus du système n’a d’égal que l’optimisme taquin et goguenard de l’ensemble du long métrage. Comme une soirée passée entre potes autour d’un bon Whisky, refaire le monde n’apporte rien de plus qu’un sentiment de se sentir moins seul et moins isolé. Voir un film de Ken Loach en mode choral, ce qui n’est pas son habitude, provoque un peu le même sentiment grisant. On est un peu chez soi, dans un univers connu et balisé au cours d’une filmographie riche de 30 longs métrages dont très peu de ratés.
Un cinéma qui ne donne jamais dans les grands discours, qui ne fait que montrer des pauvres se démerder comme ils peuvent pour surnager. Parfois c’est triste et noir, parfois c’est drôle et terriblement touchant comme dans cette « Part des anges », très réussie. Mais dans tout Ken Loach de bon niveau, c’est la justesse du scénario, du jeu d’acteurs non professionnels et du style épuré hérité du documentaire qui font que la recette fonctionne à merveille et font de Ken Loach un grand monsieur. Respect pour ce film et la régularité de cette filmographie, très classe.
N°9- « Twixt » de Francis Ford Coppola
Francis Ford Coppola a été absent une dizaine d’années avant de revenir avec des films qu’il voulait à petit budget, souhaitant retrouver l’inspiration d’un jeune réalisateur, tenter de nouvelles expérimentations à 70 ans.
Si « L’homme sans âge » était un peu trop maladroit, il signait un bijou digne de ses plus grandes tragédies avec « Tetro« , il y a deux ans. « Twixt » poursuit ce sillon sans atteindre toute la poésie et la magie de « Tetro ». Le film a également divisé les critiques tant lors de sa présentation à Venise que lors de sa sortie la semaine dernière.
Coppola choisit donc de nous conter l’histoire d’un écrivain au rabais, sorte de Stephen King du pauvre, qui se retrouve dans un bled paumé pour dédicacer son dernier livre. Le shérif du coin, un peu frappé sur les bords, lui montre le cadavre d’une jeune fille assassinée, un pieu dans le cœur. Il lui propose de co-écrire un roman sur l’affaire, à base de vampires. L’écrivain va se laisser convaincre lorsqu’il croise, la nuit même, le fantôme d’une adolescente.
Coppola choisit de nouveau le numérique, pour le pire et le meilleur. La réalité semble sortir tout droit d’un mauvais téléfilm mais la bizarrerie de l’histoire fait penser a celles d’un Lynch et permet au final à cette laideur de passer.
Mais surtout, le maitre compense par des scènes de rêveries ou de réalité parallèle assez bluffantes où le burlesque côtoie la tragédie, la folie, et mixte les univers. Au centre de son récit, une tour d’horloge à sept cadrans indiquant des heures différentes, image balourde mais touchante du mélange entre passé présent et rêve.
Entre série B et film d’horreur seventies, ces histoires de vampires et de fantômes ont surtout pour objectif de servir de catharsis. Celle d’un homme, Francis-Ford Coppola, qui a perdu l’un de ses fils, Gian-Carlo, décédé en 1986, dans un accident de hors-bord. Le personnage de Val Kilmer, l’écrivain, a lui aussi perdu sa fille dans un tel accident. Coppola traite donc de manière directe de sa culpabilité d’avoir été absent pour son fils, de son nécessaire besoin d’exorciser ce vide en faisant de ce dernier une source d’inspiration pour son œuvre. Comme l’écrivain, c’est en se confrontant à ce fantôme qu’il a résolu ses problèmes. Et si le principal était l’inspiration, le manque de démarche créative. Val kilmer rencontre dans ses rêves un autre fantôme, celui d’Edgar Allan Poe, auteur qui inspira fortement Coppola tout au long de sa carrière. Ce dernier va guider l’écrivain, lui qui a également perdu un proche, son épouse, et dont l’œuvre fut marquée de ce décès trop prématuré. Le fantôme dit d’ailleurs » We share this little ghost, my friend… », beau moment triste et mélancolique.
Coppola reprend sa patte de « Rusty James » et de « Tetro » et utilise un noir et blanc teinté de rouge vif, d’une très grande beauté plastique. Coppola mélange les genres, l’inspiration par le rêve qui mélange son propre passé et celui d’une histoire sordide de massacre. Il cite Beaudelaire dans le texte. Ce film trivial semble l’œuvre d’un homme totalement libre, et c’est ce qui fait un bien fou, un souffle frais de la part d’un maitre qu’on croyait enterré il y a quelques années. Ce coté affranchi des règles peut agacer certains mais ravir d’autres par tant d’audace.
Les affres de la création, le deuil d’un enfant décédé dont on ne s’est pas assez occupé sont traités avec une naïveté et une sincérité dans la démarche qui force le respect. Le film est boursoufflé comme son acteur principal, Val Kilmer, revenu des morts, mais cela fonctionne…comme si Coppola avait trouvé un équilibre subtil.
Il est vraiment plaisant de voir l’auteur du « Parrain » et d’ »Apocalyse Now » retrouver une telle vigueur. Un film à détester autant qu’à déguster mais un film très original.
N°8- « Dans la maison » de François Ozon
Après un « Potiche » très frais, François Ozon confirme la régularité de son talent singulier avec une histoire pour le moins originale.
A la manière de « Swiming pool », Ozon va nous parler de la fascination qu’une jeune personne peut provoquer sur un adulte dont les rêves sont un peu derrière lui. Ici c’est l’élève d’un prof de français, joué par un Fabrice Luchini, parfait pour le rôle, qui va tirer les ficelles d’un jeu pervers dont on ne sait pas quel est le but. Mais les rapports humains de dépendance n’ont pas forcément d’objectif. Ici, il est question de la mise en place d’un rapport qui s’auto-alimente et pousse les protagonistes vers des situations borderline peu à peu, sans crier garde, de façon insidieuse.
Sur la thématique de comment conter une histoire et l’écrire, travailler un style, créer tout simplement, le réalisateur nous parle de la mise en scène de sa propre vie, de l’obligation pour l’artiste de provoquer des émotions dans son quotidien pour trouver l’inspiration, de théâtraliser cette vie pour y trouver des histoires à raconter. Pour se faire, le réalisateur a trouvé un jeune acteur excellent. Ernst Umhauer est troublant car il porte sur son visage longiligne cette absence totale de valeurs et cette cruauté propre aux enfants intelligents qui découvrent froidement le monde des adultes, disséquant ce dernier comme un insecte en cours de sciences naturelles.
Luchini joue quant à lui un type qui a raté sa carrière d’auteur et procède à un transfert sur le jeune homme, cherchant à revivre la réussite qu’il n’a pas connue dans le talent de ce dernier qu’il tente de guider. Mais le manipulateur n’est pas l’adulte et le professeur se trouve rapidement pris au piège dans un engrenage dont la fin reste le grand mystère tout au long du film.
Le professeur pardonne tous les écarts et ne fixe pas de barrières au nom de l’accomplissement d’un art derrière lequel se cache un désir inassouvi, celui de créer une œuvre avec une imagination et un style qu’il n’a pas lui-même. Mais c’est aussi l’aspect addictif d’un récit fictionnel et de ses rebondissements dont Ozon nous traite en filigrane. Il assimile le voyeurisme du lecteur au comportement d’un drogué qui ne saurait dire stop en se cachant derrière l’approche artistique de la démarche malsaine de l’adolescent.
En refusant d’apprendre la morale à son élève, au nom d’un anticonformisme qu’il fantasme alors qu’il se trouve lui-même prisonnier de clichés, le maitre perd son rôle et surtout sa maitrise. Sa créature va se révéler moins fictionnelle que prévue et plus imprévisible, plus dangereuse. Le coté passionnel de ce rapport épistolaire va alors consumer la vie du brave professeur de français. C’est que dans un rapport passionnel, il y a parfois un maitre et un esclave, un qui gère son ascendant et l’autre qui suit derrière et ne peut que s’autodétruire. Et le rapport des deux s’entretient de lui même pour aller de pire en pire. Ici le manipulateur se retrouve être le pantin transporté dans une histoire qu’il ne peut plus arrêter.
Le récit de François Ozon peut sembler moins sombre que d’apparence, l’ironie permettant de désamorcer un épilogue que l’on espère surprenant et noir depuis le début. Et comme le personnage le dit lui même, une bonne fin doit couper net et ne pas être attendue. En ce sens, Ozon boucle son film avec élégance et classe et prouve qu’il a atteint une certaine maturité, se débarrassant des quelques derniers écueils que son sens de la provocation laissaient transparaitre parfois.
Une grande réussite.
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