Les meilleurs films du Blanc lapin 2012 – Partie 2 – N°7 à N°1
Après la première partie (Les meilleurs films du Blanc lapin 2012 – Partie 1), suite et fin du classement subjectif des meilleurs films du Blanc Lapin vus en 2012 avec ma critique à chaque fois…
N°7 – « The dark Knight Rises » de Christopher Nolan
Quatre ans après avoir scotché la presse et remporté le troisième plus grand succès de tous les temps au box office, Christopher Nolan conclut sa trilogie autour de son Batman réaliste et adulte.
Certains ont été déçus, peut être parceque « The dark knight rises » n’est pas exactement dans la continuité de style que « The dark knight » mais plutôt dans un mixte de « Batman begins » et du second volet. Car ce qui frappe c’est évidemment la cohérence de l’ensemble des trois films, les renvois aux deux précédents et la logique implacable de la trilogie. Bruce Wayne / Batman se construit par rapport à la mort de ses parents et l’évolution de Gotham city. Et les méchants qui s’attaquent à la ville, l’agressent comme un individu et se construisent eux aussi en creux par rapport à Gotham. Dès lors il serait injuste de passer au second plan le super méchant de cette histoire, Bane, joué par l’excellent Tom Hardy, au prétexte que le joker d’Heath Ledger était parfait. Bane est lui aussi un terroriste mais pas pour les mêmes raisons. Il est intelligent et bien plus dangereux physiquement. Mais il ne souhaite pas jouer avec batman, contrairement au Joker. Ce dernier était le nemesis de Batman, il avait besoin de Batman, et besoin du chaos et de l’anarchie comme toile de fond permanente pour satisfaire sa folie. Bane au contraire est encore plus flippant car il veut tout détruire, tout raser et ne pas laisser Batman survivre. C’est un méchant ultra violent et qui fait peur lui aussi car il a un but clairement avoué d’entrée et fonctionne comme un rouleau compresseur. En ce sens, Christopher Nolan a tès bien sélectionné l’ennemi du caped crusader.
Catwoman est quant elle campée par une Anne Hathaway très éloignée de la sulfureuse Michelle Pfeiffer de Tim Burton. Tellement éloignée que la comparaison ne vient pas à l’esprit. Son rôle s’imbrique parfaitement dans le scénario et rejoint plutôt le personnage du comic book, très ambivalent et inclassable entre alliée ou ennemie.
La relation entre Bruce wayne et Alfred (excellent Michael Caine) prend quant à elle une tournure touchante, une relation tout en délicatesse à comparer à la brutalité du long métrage. Mais la surprise vient de l’un de mes chouchous, le jeune Joseph-Gordon Levitt, dont la présence est importante à l’écran. Il apporte l’espoir, la lumière dans un Gotham en perdition, menacé d’être ravagé par Bane. Il incarne l’intégrité et le courage de jeunes de Gotham qui ont toujours cru en Batman et ne se sont pas laissés bernés par le sacrifice de ce dernier et de Gordon à la fin de l’opus précédent. C’est là aussi un choix de personnage et de casting inspiré qui fait prendre tout son sens à la naissance d’une légende et de ce qu’est un super héros dans l’imaginaire collectif. Joseph Gordon-Levitt apporte toute sa nuance de jeu à ce personnage clé, sans qui cet épisode n’aurait peu être pas atteint un tel niveau.
Christopher Nolan exploite aussi l’actualité et s’inspire des dérives criantes du capitalisme pour donner un peu de morale à tout cela. Pas une morale donneuse de leçon mais une humanisation des convictions et motivations des terroristes. Ca ne les rend pas moins effrayants mais c’est moins binaire qu’à l’accoutumée.
Et puis pour terminer cette critique plus que positive de ce petit bijou, Nolan a eu l’intelligence de terminer sa trilogie sur un final comme j’en ai rarement vu, une fin véritablement à la hauteur des promesses. Il va être très difficile pour un autre réalisateur de passer derrière Nolan et de donner une autre vision tout aussi pertinente de Batman. Personnellement je ne pouvais pas attendre mieux, c’est pourquoi je mets 5 blancs lapins. Nolan ne s’est pas répété, il s’est renouvelé et a imbriqué les trois films ensemble, c’est classe, très très classe.
N°6 – « La chasse » de Thomas Vinterberg
14 ans après son chef d’oeuvre, « Festen« , et deux ans après son retour artistique réussi avec « Submarino« , Thomas Vinterberg confirme qu’il a retrouvé l’inspiration et le talent qui lui a manqué pendant les années 2000, écrasé par son ultra succès très jeune.
« La chasse » a divisé la presse tant à Cannes qu’aujourd’hui lors de sa sortie en salles. Seule le prix d’interprétation masculine à Cannes pour Mads Nikkelsen ne suscite pas de controverse, tant son jeu est parfait.
Pour ma part, je suis de ceux qui ont adoré ce nouvel opus, et ne comprends pas le rejet d’une partie de cette presse ou l’affirmaton que Vinterberg opte pour la facilité, la lourdeur du propos, caricatural, offrant un film maladroit et malhonnète….n’en jetez plus ! Le snobisme de certains critiques a encore frappé, comme si ces derniers étaient incapables de pardonner à Vinterberg de ne pas avoir eu la carrière qu’on lui prêtait.
Ici, il choisit de réaliser une sorte de double négatif de « Festen » à bien des égards. Son film n’atteint pas le niveau de cet illustre prédecesseur mais il frappe fort et juste sur une thématique souvent abordée au cinéma. Ici il est question du rejet de la foule, de la société mais cette fois l’injustice qui touche le personnage s’ancre dans une période où les scandales pédophiles ont parsemé l’actualité de blessures très vives et d’inquiètudes bien normales de tout parent normalement constitué.
L’homme que l’on observe est donc accusé par une fillette d’attouchements sexuels et cette fillette n’est autre que la fille de son meilleur ami. Il n’ y a pas de preuve de l’affirmation de l’enfant mais juste la parole de cette dernière et l’impossibilité pour l’adulte de se défendre. Vinterberg va nous montrer comment sur un rien, un mensonge d’enfant, toute la vie de ce type va basculer suite à l’engrenage du doute.
Une fois qu’un adulte se fait sa propre opinion sans fait objectif pour la valider, tous vont se mettre à croire au monstre, qu’ils ont vus partout dans les médias et qui pourrait donc se tapir auprès d’eux, parmi eux. Le déterminisme de ce jeu de massacre, d’exclusion et d’autopersuasion dans la haine et le rejet est finement abordé. Par quelques évènements, l’adulte va mettre la parole de l’enfant au dessus de tout et va même jusqu’à ne pas croire ce dernier lorsqu’il fait marche arrière et avoue son mensonge. On pense évidemment à l’affaire d’Outreau mais pas pour les erreurs judiciaires puisqu’ici la justice fait très bien son travail. « La chasse » montre les conséquences inaltérables de la rumeur, de l’opprobre, l’impossibilité de laver ces accusations, qui resteront quoiqu’il advienne.
L’homme se trouve traqué et dans l’impossibilité de prouver l’improuvable, un cercle vicieux qui donne le tournis et fait froid dans le dos, car ceci peut arriver à n’importe qui.
Il y a certes des clichés dans « La chasse » mais ils ne m’ont en rien gêné, l’objectif n’est pas là. Le fait que le héros soit clairement innocent est au contraire un choix scénaristique intelligent pour démonter un mécanisme. Le choix peut ne pas plaire à certains, moi je le trouve cohérent et bienvenu. Le trouble n’aurait pas été le même dans cette option de scénario.
Contrairement à « Festen » et davantage dans la veine de « Submarino« , Vinterberg choisit la lumière et l’espoir via ces quelques personnes qui décident de croire en l’humain qu’ils connaissaient et le soutiennent jusqu’au bout. Le personnage du cousin et celui du fils de l’accusé amènent une bouffée d’espoir, dressant au passage une belle image de l’amour père-fils et du lien familial. « La chasse » parle aussi de la confiance dans un ami d’enfance, qui ne peut se prouver par rien de concret, juste par une connaissance de l’autre, de son « moi intérieur », de son humanité. Le film parle aussi de pardon, de communauté, et regarde de l’avant avec une fin tout de même très maligne et dénuée du cynisme que les détracteurs lui prêtent. Nous n’avons probablement pas vu le même long métrage.
La chasse est un grand film, implacable, glaçant, traversé de très belles touches d’humanité, d’émotion, sans pathos et avec le recul et la froideur nécessaire à ce type de sujet.
Une des grandes réussites de cette année.
N°5 – « A dangerous method » de David Cronenberg
Après deux chefs d’oeuvre, « A history of violence » et « Les promesses de l’ombre« , David Cronenberg revient avec un film plus âpre et moins facile d’accès.
Faisant preuve d’un Grand classicisme dans la réalisation, le maitre prend son temps pour installer ses personnages et les laisser se livrer à leurs échanges intellectuels, au demeurant passionnants.
La relation entre Carl Jung et Sigmund Freud est alors disséquée par échanges verbaux et lectures épistolaires sur leur approche respective de la psychanalyse.
Une confrontation du père au fils spirituel va dès lors avoir lieu sous nos yeux…il faut tuer le père pour prendre son envol, illustration !Jung s’éloigne des théories de Freud tout en respectant son impact et son apport, il souhaite aborder la parapsychologie, apporter une réponse au patient, lui indiquer le chemin qu’il devrait suivre pour être épanoui en fonction de ses attentes. Freud souhaite quant à lui se limiter à la définition des causes d’un trauma. Il ne veut pas se transformer en dieu qui indique au patient que faire. Il reproche d’ailleurs à Jung ses origines ariennes et fait une remarque surprenante à la disciple de Jung qui est juive comme lui.
Il estime que Jung étant arien, il faut se méfier de son approche « supérieure » et influencée par la haute opinion qu’un arien a de lui-même. Réflexion rapide mais d’autant plus significative que Jung, sur le même sujet, ne comprend pas pourquoi faire une distinction d’origines et de religions, et n’adhère absolument pas au racisme de ces temps troublés.
Un bel exemple de la richesse et de la profondeur du propos, à savoir les limites du chercheur et de sa raison, même pour les découvreurs de cette discipline. Limites qui trouvent racine dans les rapports de classe, les règles sociales qui font tenir une organisation humaine, règles morales ou idées préconçues qui préservent de l’anarchie. Qui évitent et classent certains sujets pour ne pas mettre en péril les fondements d’un système d’organisation politique humain.
Freud souhaite d’ailleurs exclure la religion de leurs réflexion pour ne pas polluer leurs recherches mais se trouve tout de même rattrapé par un a priori, issu de l’oppression millénaire juive et du climat antisémite d’avant guerre.
Le personnage de Vincent Cassel est excellent car il montre un psychiatre lui même en fin de psychanalyse et qui s’est libéré de tous les carcans sociaux et moraux pour retrouver sa liberté totale, sexuelle en premier lieu. Un véritable anarchiste, très différent d’un révolutionnaire…
Il est donc question de sexe, de désir et d’amour, de la définition de la limite entre le désir pur et davantage, de l’impossibilité même pour ces éminents chercheurs de se départir de leur passions, même sur la longue durée. Cronenberg réussit donc une oeuvre certes aride mais d’une telle exigence intellectuelle qu’elle force l’intérêt et captive. Viggo Mortensen est brillant mais Michael Fassbender lui vole la vedette. L’acteur est un caméléon et prouve après « shame« , « hunger« , « fish tank » et « x-men first class » qu’il peut tout jouer. Quel plaisir qu’un tel acteur rencontre ce succès et soit aussi pertinent dans ses choix. En 2012, nous le verrons dans « Prometheus« , prequel d’Alien de Ridley Scott et nous verrons Cronenberg dans un tout autre style avec Robert Pattinson, de Twilight, un sacré défi pour le jeune homme et un pari gonflé pour le maitre canadien. « A dangerous method » est en tout cas une belle réussite, mais moins évidente à premier abord que d’autres longs de Cronenberg…
N°4 – « Holy motors » de Léos Carax
Léos Carax est l’auteur maudit par excellence, une image un peu agaçante parfois mais pourtant bien vraie. Alors que « Mauvais sang » l’avait propulsé comme un jeune prodige estimé de tous, « Les amants du pont neuf » avaient créé le scandale par le coût faramineux du long métrage et le four au box-office qui s’en suivit, faisant oublier au passage la qualité du film. Puis ce fut un long désert, un « Pola X » pas terrible, et pas grand chose en vingt ans.
Dès lors, que ce soit le réalisateur lui-même qui ouvre la première scène de « Holy Motors » et nous invite à entrer dans son imaginaire est chargé de sens et de promesses.
Seulement voilà, pour celles et ceux qui voudraient de la cohérence et du scénario linéaire, il faudra repasser une autre fois. Car très honnêtement, on ne comprend pas tout. Et c’est tant mieux. L’acteur fétiche de Carax, Denis Lavant, endosse avec brio un rôle protéiforme, celui de Monsieur Oscar, un homme payé pour jouer des rôles et entrer dans la peau de vrais personnages. Edith Scob joue la conductrice de l’énorme Cadillac dans laquelle il se change et se maquille. Elle l’emmène d’histoires en histoires. Il faut bien évidemment y voir une métaphore ou plusieurs mêmes, dont celle du métier d’acteur, qui n’aide pas franchement à avoir des racines mais se résume plutôt à devenir un passeur de vies.
Cette très belle idée est particulièrement bien rendue et donne lieu à des scènes relativement perchées. Le danger de ce genre de film, c’est ne pas adhérer et de s’emmerder ferme. Pour ma part, ceci m’a touché, pas au point de crier au génie comme l’on fait certaines critiques à Cannes. Mais j’avoue avoir été bluffé à plusieurs reprises. Le film n’est pas prétentieux, il est juste décousu, volontairement, sans ligne directrice, ce qui s’avère perturbant mais pas chiant. On se retrouve simplement frustré de ne pas tout saisir tout le temps. Voir Kylie Minogue chanter avec mélancolie son amour gâché en pleine Samaritaine en ruine a quelquechose de kitsch et de poétique.
L’autre force du film est son humour, chose surprenante mais oui, Léos Carax s’amuse avec son spectateur, avec qui, dès le départ, il assume le côté toc du film. Il regarde la salle et l’invite à passer de morceaux d’histoires en morceaux d’histoire, comme dans un envers du décor surréaliste où les vrais gens seraient pour certains des acteurs qui se croisent et vivent de multiples vies. Le film se métamorphose, Carax s’autocite que ce soit en explorant cette samaritaine si proche de son fameux Pont Neuf ou en faisant revenir le personnage de Piccoli de « Mauvais sang ». C’est sûr que pour les non cinéphiles, ceci vous laissera de marbre.
Et puis grâce à ce choix sans concession, Léos Carax arrive à tourner plusieurs films et non un seul, laissant libre court à son talent de mise en scène, à la forme plutôt qu’au fond, le fond étant un long murmure délirant…
C’est une manière d’autoparodier sa propre vie d’artiste, cinéastes incapable de faire un choix sur une histoire à raconter et voguant de projets avortés en projets avortés depuis 15 ans. On ne comprend pas toujours un poème et ce n’est pas bien grave au final, le tout est d’en ressortir ému, transpercé de diverses sensations, de bribes d’histoires et de visuels fantaisistes, un film détonant par la liberté qu’il s’offre.
Un objet filmique non identifié et unique. Merci Monsieur Carax d’être revenu passer nous faire un clin d’oeil. Vous serez toujours le bienvenu.
N°3 – « Moonrise Kingdom » de Wes Anderson
Voici enfin « Moonrise Kingdom« , première incursion en compétition officielle à Cannes pour l’un des meilleurs réalisateurs quadras hollywoodiens.
Il y a peu de metteurs en scène dont on reconnait la pate au premier plan. Comme dans « La vie aquatique« , Wes Anderson commence son film par des travellings virtuoses de camera au travers du décor de la maison familiale des protagonistes. En accentuant cet aspect carton pate et décorum de cinéma, il nous insère avec brio dans ce cocon familial clos, maison isolée elle même sur une ile et, au passage, nous livre un clin œil, une invitation à entrer dans son petit univers.
Les couleurs jaunies très sixties sont complétées par un montage, un séquençage des scènes très efficace et d’un niveau bluffant. On ne sait pas où on va mais on y va en rythme ! Certains critiques reprochent à Wes Anderson de ne pas se renouveler, de toujours raconter une histoire de famille sur un ton situé entre nostalgie, absurde et déconnexion lunaire. Mais contrairement à un Tim Burton qui ne fait que « copier coller » sans âme ses marques visuelles, Anderson construit bien une autre histoire, différente des précédentes. La thématique est toujours familiale, une famille qu’on ne choisit pas, une adolescence qui laisse des traces, mais c’est le cas de la plupart des réalisateurs que de retourner à des sujets fétiches.
Ce qui interpelle dans ce nouvel opus, au-delà du jeu de cette brochette d’acteurs (Bruce Willis, Frances McDormand, Edward Norton, Bill Murray), c’est ce souci du détail dans chaque plan, cette délicatesse dans l’expression des états d’âme de chaque personnage, tout en survolant l’ensemble avec un second degré permanent. Une légèreté qui prend racine dans une dérision assumée, qui pourtant traite de sujets bien en relief. L’image, la colorimétrie sont là pour accentuer cet espace isolé où cohabitent des protagonistes tous un peu perchés. Mais ces thématiques n’en demeurent pas moins universelles et il serait dommage d’en zapper la profondeur.
« Moonrise kingdom » c’est un peu l’aventure et l’imaginaire de l’enfance qui rencontre la frontière de l’âge adulte.
Ces adultes sont tristes, dépressifs et n’ont plus de projets, plus d’entrain, ils restent coincés dans leur vie de famille comme Bill Murray et Frances MacDormand, couple qui ne se s’aime plus mais reste ensemble par commodité, pour les enfants.
Le burlesque des situations provoque des rires mais jamais des éclats car la tendresse qu’a Wes Anderson pour ses personnages est incroyablement communicative. Elle vous donne la patate car on se reconnaitra tous dans les errements de ces gamins qui cherchent à échapper à cette destinée peu reluisante et figée du monde des adultes.
Les enfants cherchent à être des grands et les adultes à jouer aux scouts ou aux amoureux adolescents plutôt que de prendre des décisions concrètes et engageantes. Un film sur le pouvoir de la naïveté. Les enfants veulent être libres et adultes le plus vite possible alors que les adultes cherchent à retourner dans cette période si particulière. Un chassé croisé drôle et rocambolesque.
Anderson est timide et cache ses messages derrière son drôle de style qui n’appartient qu’à lui mais qui en fait décidément un des très grands auteurs mondiaux d’aujourd’hui.
N°2- « Bullhead » de Michael R. Roskam
Les belges sont décidément un peuple surprenant. Non contents de nous apporter régulièrement des artistes majeurs, du cinéma des frères Dardenne à Benoit Poelvoorde en passant Bouli Lanners, c’est cette fois-ci à un cinéaste flamand de faire une entrée fracassante avec « Bullhead« .
Ici point de comédie ni de chronique sociale, plutôt un exercice de style avec une approche cinéma de genre particulièrement inspirée, entre western et polar.
En nous plongeant dans le milieu des éleveurs de viande bovine mêlés au trafic d’hormones, Michael R. Roskam brasse les styles. Entre film de mafieux et chronique d’une enfance détruite , le réalisateur va suivre un jeune homme brutal, proche des animaux qu’il élève et abat. Tellement proche qu’il prend des stéroïdes et de la testostérone comme il injecte des produits chimiques à ses animaux.
Matthias Schoenaerts trouve ici un rôle difficile car quasi muet. Et ce dernier va exploser à n’en pas douter. Jacques Audiard vient d’ailleurs de le faire tourner dans son prochain film, « un goût de rouille et d’os » aux côtés de Marion Cotillard. L’année 2012 devrait donc faire connaitre cet acteur au grand public.
Mais c’est surtout un homme seul que l’on suit, un homme coupé du monde par son milieu rural, par l’aspect clanique de sa famille, par la chape mafieuse des hommes avec qui sa famille travaille, par l’infirmité qu’il essaie de combattre en devenant un sur-homme, en cherchant à réparer sa masculinité par l’ apparence de son corps. On se prend bien entendu d’empathie pour cette bête blessée et maladroite, cet homme rustre qui n’a d’humain que ses souvenirs mais dont le trauma originel explique tout le reste. Au-delà de cela, son amitié d’enfant coupée en plein vol avec un garçon qui reparait dans sa vie à l’âge adulte, rajoute une dimension supplémentaire à cette tragédie. Les parallèles entre passé et présent permettent alors au film de décoller vers des niveaux de dramaturgie très très hauts perchés.
Que dire aussi de la mise en scène ? Michael R. Roskam montre dès le départ son parti pris, en filmant la première scène par une caméra frolant la portière d’une voiture qui s’arrête et ne s’attardant pas sur le personnage principal mais sur l’homme avec qui il vient régler des comptes. Une façon d’introduire de nombreuses scènes. Il plante d’abord le décors et les protagonistes extérieurs pour mieux faire ressortir l’immixtion brute et violente du personnage dans un univers où il est forcément perçu avec crainte et interrogation, même par ses proches. L’image est léchée, le montage incisif, la lumière crépusculaire.
La vie peut faire d’un être un monstre et c’est toute la force du film que d’entrer dans cette origine du mal et d’en revenir bluffés par la qualité du récit, sans un gramme de graisse en trop, que de la chair brute et efficace, rien de plus. Un film saisissant sur le déterminisme social, un film noir comme rarement on a l’occasion d’en découvrir et une réussite évidente.
Après ce premier film très référencé, Michael R. Roskam va être très attendu pour la suite de sa carrière.
N°1 – « Amour » de Michael Haneke
Voici une palme d’or évidente pour l’autrichien Mickael Haneke, trois ans après sa première palme pour un « Ruban blanc » un peu austère et auteuriste par rapport au reste de sa carrière.
L’homme a toujours eu un regard clinique, notamment sur la violence, d’où ces coups de poings comme « Funny games » ou « La pianiste« .
Mais cette fois-ci, il choisit un thème assez rare au cinéma et abordé de façon différente, que ce soit par exemple chez Julien Duvivier dans « La fin du jour » ou Ingmar Bergman dans « Les fraises sauvages« . Il nous parle de la fin de vie, de la vieillesse et de la mort, mais pas pour la confronter aux regrets, aux souvenirs ou à la jeunesse comme dans les deux chefs d’œuvre précités. Non, Haneke choisit de nous parler d’Amour, de l’amour d’un couple qui a vécu 60 ans ensemble, et de ce qui se passe quand la vieillesse s’empare d’une telle union, d’une telle proximité, d’une telle intimité. Il nous parle de ce qu’il reste d’un couple qui a traversé tant d’épreuves et se trouve au crépuscule de sa vie. Et contrairement à ce qu’on pouvait attendre de l’autrichien froid et distant, « Amour » porte très bien son nom et nous parle de cette tendresse profonde et de ce lien qui fait que ces deux personnes octogénaires ne peuvent vivre l’une sans l’autre comme mourir l’une sans l’autre.
C’est un film beau et sublime car dépourvu de pathos, de sentimentalisme et bénéficiant du regard sensible d’un réalisateur connu pour son recul et du jeu tout en nuances et en retenue de deux immenses acteurs, Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant. Les deux auraient mérité le prix d’interprétation à Cannes mais le règlement du festival interdit au jury d’attribuer ces prix si la palme revient au film. Et pourtant, le film n’existerait pas tel quel sans eux. D’ailleurs Haneke a écrit le film pour Trintignant et a réussit un exploit, celui de faire sortir de sa retraite de 15 ans l’un des plus grands acteurs français, d’abord lassé de jouer autrement qu’au théâtre puis pour les raisons qu’on connait et la disparition de sa fille Marie.
Trintignant est majestueux, sa voix énonce avec clarté son texte avec le ton si particulier qu’on lui connait, face à une Emmanuelle Riva tout aussi classieuse et dont le rôle et loin d’être évident. Les deux acteurs arrivent à faire passer autant la dureté de ces deux êtres qui se connaissent par cœur et ont tout vécu ensemble que la tendresse dans des regards, des petits gestes qui lors de certaines scènes m’ont véritablement ému aux larmes.
Ils sont beaux tous les deux à l’écran et donnent à ce couple et cette marche vers la mort une dimension tragique, fataliste mais finalement pas si morbide que cela. « Amour » est un film parfois dur à regarder car il nous confronte à ce qui nous attend tous, au fait que nous sommes seuls face à la mort quoiqu’il arrive, quelque soit votre entourage. Le film rappelle et pose cette évidence dans une société où le jeunisme n’a jamais été aussi fort et la volonté d’être immortel jamais été autant bercée d’illusion par notre société marchande de rêve. La sobriété et l’unité de lieu du récit, la froideur et la retenue de leur fille interprétée par Isabelle Huppert, l’absence d’enfants et quasiment d’intervention extérieure, permettent justement d’isoler le couple dans un espace où le temps est suspendu. On imagine très bien tout ce qui a pu se passer dans leur appartement parisien, tous les livres qu’ils ont lu l’un à coté de l’autre, les moments où elle a joué du piano pour lui, les silences qu’ils ont su apprécier à deux. Les mots se font d’ailleurs économes à cet âge là car ils n’ont plus besoin d’exprimer le lien qui les unit, il se voit en les regardant se tenir la main et moduler le ton de leur voix pour parler plus doucement.
La générosité d »Amour » est de nous livrer une belle leçon de vie, sur un sujet qu’on évite en général car on préfère ne pas le regarder en face. Un film pudique mais direct sur la fin de vie et le courage qu’il faut pour l’affronter dignement. Haneke a longtemps montré la cruauté de l’être humain dans toute sa profondeur et livre aujourd’hui une belle croyance dans ces mêmes individus et dans l’amour, qu’on définit si mal en général. Il démontre que la vie vaut d’être vécue ne serait-ce que pour ce type de lien, car même lorsque le corps vous lâche et qu’il se détruit, il peut rester cette tendresse jusqu’au bout. Haneke nous parle de ces vieillards qui s’en vont et en ont parfaitement conscience, qui ne veulent pas quitter la scène, qui ont toujours soif de culture, de savoir mais n’ont pas le choix et l’acceptent. Haneke aurait pu se contenter de filmer la déchéance mais il arrive à capter l’empathie, à filmer avec épure la fin d’une très belle aventure avec tout ce qu’elle projette de peur sur nous mais aussi de vérité.
C’est toujours un peu idiot de parler de chef d’œuvre mais pourtant, il y a des films qui sonnent tel quel dès leur première vision. Savoir que Jean-Louis Trintignant termine cette carrière sur cette brillante prestation est en soit un très bel adieu. Cette palme d’or était une évidence, oui.
Voilà, c’est finis pour les bilans 2012, place à 2013…vous retrouverez ici même d’ici peu ma sélection des 75 films que j’attend en 2013 avec crainte ou enthousiasme…
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