« Deux jours, une nuit » de Jean-Pierre et Luc Dardenne – critique du Blanc Lapin
Jean-Pierre et Luc Dardenne n’ont pas remporté de 3ème palme d’or avec « Deux jours, une nuit » mais si ceci avait été le cas, je n’aurais pas crié au scandale, loin de là.
Fidèles à la fibre sociale de leur cinéma, les deux frères s’intéressent à la violence du monde du travail, lorsqu’en periode de crise, le fait de conserver son travail devient une nécessité vitale et provoque des angoisses incontrôlables. Le personnage de Marion Cotillard vit ce besoin de ne pas être licenciée de façon physique, comme si toute sa vie y était rattachée, comme si plus rien n’existait derrière, qu’elle ne pourrait plus retrouver un travail une fois happée par le chômage.
Alors bien sûr, le pitch peut sembler carricatural. Un patron sans coeur offre le choix à ses employés entre refuser une prime de 1000 € chacun pour garder l’une d’entre eux parmi les salariés ou empôcher leur prime et voter pour son licenciement. En reportant la responsabilité sur les collègues de l’employée à virer, le patron n’a effectivement aucun sens moral. Cette simplification extrême ne rend pas bien compte de la réalité. Mais elle a au moins le mérite d’explorer l’éventail des réactions possibles, entre égoisme et repli sur soit ou regain de solidarité, de personnes acceptant d’aller au delà de leurs petites personnes, se soudant face à à un quotidien salarial où chacun défend sa peau.
Par la justesse et la sobriété de leur mise en scène, les Dardenne arrivent à éviter de tomber dans le panneau revendicatif éculé et font poindre de fortes émotions tout au fil du récit. Marion Cotillard endosse un rôle casse gueule où elle aurait pu en faire des caisses mais, et c’est peut être au delà de son talent, une direction d’acteurs toujours aussi exceptionnelle, qui permet aux Dardenne d’utiliser au mieux la star, et de la rendre crédible en simple ouvrière depressive.
Surtout, les frangins arrivent à faire que le film ne soit pas répétitif alors que le thème est quand même là aussi glissant puisqu’on voit une femme aller tenter de convaincre ses collègues un par un de voter pour elle et de sauver son job. Sauf qu’ici, le film est d’abord plein de suspens, et surtout, il est construit comme une lutte tant pour sauver son emploi que pour retrouver une dignité alors même qu’il est humiliant d’aller quémander l’aide des collègues. Mais les Dardenne vont au delà du simple rôle social du travail et de la reconnaissance et de l’insertion qu’il donne. Ils prouvent magnifiquement que l’important n’est pas, justement, de conserver tel ou tel emploi. L’important est ailleurs, dans la volonté de redresser la tête, de se battre, pour soi et ses proches, de se prouver que quels que soient les défis, le futur peut être amélioré. Cette pirouette qui permet au film de se terminer sur un message positif et d’espoir, donne au long métrage tout son sens. Un très beau film sur la reconquête de soi et de sa dignité et une grande réussite.
La piste aux Lapins :
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