Les meilleurs films de l’année 2016 du Blanc Lapin : N°20 à N°11
C’est déjà l’heure des bilans et l’année 2016 n’est pas si mal que cela en matière de cinéma. Voici le début du classement 2016 du Blanc Lapin du N°20 au N°11.
N°20 – « Moi, Daniel Blake » de Ken Loach
Alors qu’il avait annoncé se retraite il y a trois ans, le pourfendeur de la cause sociale est de retour, à 80 ans, avec la verve intacte, les mots justes. Il s’est fait étrier à Cannes avant de recevoir sa seconde palme d’or pour ce « Moi, Daniel Blake« , jugé trop en deçà par la presse…trop facile, trop attendu, trop gentil, trop caricatural. Et puis comme par magie, ces mêmes critiques changent leur fusil d’épaule à la sortie et encensent le film.
Ce seraient-ils acheté un cœur passé le jeu de massacre cannois? En tout cas, « Moi, Daniel Blake » est un très bon Ken Loach pour ma part. Oui, il est du côté de ceux qui ne vivent pas la mondialisation du bon côté, pointant du doigt, lourdement mais surement le désengagement de l’état, ce qui est très à la mode en ce moment. Le problème c’est lorsque par une politique qui établit des règles à l’aveugle, on perd tout sens de l’humain, parceque la loi est appliquée à la lettre par des individus qui sont de l’autre côté.
Alors oui, ses personnages sont franchement dans la merde et supers sympas et ils se battent contre des fonctionnaires trop zélés.
Le problème c’est qu’un discours simple et efficace comme celui de Loach, on en voit de moins en moins, comme si la population se résignait et se soumettait à des choses parfois absurdes. Et Ken Loach reste un maitre de l’émotion et de la dénonciation d’abus idiots dans un monde égoïste et violent. Ceci fait tout simplement du bien d’entendre autre chose, un autre son de cloche. On n’est pas obligé d’être d’extrême gauche pour apprécier ce type de film, il faut juste avoir du cœur et pas juste des chiffres et des ratios en tête. Car la pensée unique çà rend con, tout simplement, qu’elle soit de gauche ou de droite. Parfois ce type de film permet de rééquilibrer les dérives idéologiques un peu faciles justement. Et Loach le fait de façon simple, évidente, nous arrachant des larmes de tristesse devant son constat particulièrement sombre.
Son film est épuré de tout effet de style, en colère et pourtant humble et fier. C’est ceci que le jury de Cannes a voulu récompenser mais aussi le parcours d’un maitre du septième art qui n’a jamais perdu de vue un idéal. Et même si on peut être en désaccord avec ses idées politiques, on peut avoir un profond respect pour son combat car il est juste.
Ken Loach nous manquera probablement, sa présence étant salvatrice pour toutes les raisons que j’ai évoquées. Il est indispensable à la diversité de pensée, comme une mauvaise conscience pour toutes celles et ceux qui sont du bon côté, comme moi, et qui se sentent trop peu concernés par cette violence sociale. Un très bon Ken Loach, qui mérite sa palme.
La piste aux Lapins :
N°19 – « Réparer les vivants » de Katell Quillévéré
Traiter du don d’organe, du parcours de la famille du donneur à celle de celui ou celle qui est sauvé, est un sujet casse gueule. Plusieurs écueils auraient pu plomber le résultat.
Le pire était le pathos, le fait de s’apitoyer sur le sort de ce jeune homme à qui la vie sourit et qui se trouve fauché alors qu’il n’est même pas majeur. Katell Quillévéré a l’excellente idée de nous le rendre proche et quasi muet, en le suivant durant ses dernières heures de vie et de liberté. Quand les deux parents joués par Emmanuelle Seigner et Kool Shen apprennent la nouvelle et tentent de gérer peu à peu ce qui leur arrive, on est certes pris d’émotion, de compassion mais toujours avec une grande pudeur. Cette dernière vient du fait qu’il est inutile de rentrer dans des explications de texte, on se met à la place de cette famille de façon d’autant plus évidente que la réalisatrice nous a préparé au drame.
Le casting s’étoffe alors d’autres grands acteurs comme Bouli Lanners en chef de clinique méthodique et d’un grand sang froid. Il est professionnel et a l’habitude de voir de telles horreurs. Cette distance du personnage et du métier permet au film lui aussi de ne pas tomber dans la facilité. C’est aussi le cas du reste du personnel hospitalier dont l’excellent Tahar Rahim, dont l’humanité et la distanciation sont elles aussi mêlées avec grande intelligence.
On parcourt ainsi un chemin en même temps que la famille, en suivant de façon quasi documentaire les étapes de la décision.
Mais le film est surtout construit comme un parcours vers la renaissance, celle du personnage d’Anne Dorval, toujours aussi classe que chez Xavier Dolan. Elle se fane tout doucement, entourée de ses fils dont l’un joué par Finnegan Oldfield, qu’on a vu dans le très bon Nocturama en septembre. Alice Taglioni apporte quant à elle l’espoir pour l’après opération. L’opération de greffe est extrêmement détaillée, peut être trop mais c’est le parti pris au final globalement très réussi du film. C’est ce qui lui permet de rester digne et de provoquer des émotions sans à aucun moment s’enliser. Le film est mélancolique et triste certes mais avec toujours cette retenue indispensable. Le sentiment est en permanence celui de passer de la nuit au lever du jour. D’ailleurs, deux scènes se renvoient en miroir ce moment d’éveil, l’un vers la mort et l’autre vers la vie.
C’est un très beau film, à l’émotion subtile , à ne surtout pas louper.
La piste aux Lapins :
N°18 – « Comancheria » de David Mackenzie
David Mackenzie, réalisateur de l’excellent « Les poings contre les murs« , revient avec un film très différent bien que centré lui aussi sur un lien familial fort.
On y suit deux frères qui après la mort de leur mère, se mettent à braquer des banques, de nos jours, pour pouvoir racheter leur propriété familiale.
Un ranger qui doit partir prochainement en retraite va tenter de les arrêter avec son adjoint.
Et dans le rôle du ranger, l’immense Jeff Bridges excelle comme d’habitude, en vieux bougon susceptible aux remarques racistes dans le but de faire enrager et taquiner son adjoint comanche. Il apporte les touches d’humour salvatrices au récit. De l’autre côté, Chris Pine tient la dragée haute au toujours impeccable Ben Foster. Pine trouve enfin un rôle où il n’est pas que le beau blond de service mais un vrai personnage écrit avec soin.
Ben Foster interprète donc ce grand frère qui a tout raté à force de toujours emprunter le chemin de traverse. Il est rude et tendre pour son frère tandis que Chris Pine interprète un père qui tente de rattraper ce qu’il a détruit avec l’alcool.
La relation des deux frères est à la fois pudique et touchante et c’est sans doute la plus belle réussite du film. Ils n’expriment pas leurs sentiments mais çà crève les yeux, ces deux frangins s’adorent mais au Texas on préfère rester des mecs virils et ne jamais tomber dans le sentimentalisme. Les deux ont une revanche à prendre sur la vie mais pas que la leur, celle de leurs parents et grands parents, pauvres de générations en générations, oubliés de l’Amérique.
Il faut dire que David Mackenzie passe de l’enfermement de la prison de son précèdent long métrage aux immensités désertiques du Texas. Les deux braqueurs fuient à travers de splendides paysages, mais ils sont pourtant enfermés dans leur destin tragique, et ils le savent très bien.
Le réalisateur mêle les genres entre road movie, thriller, western mais n’oublie pas de livrer aussi un portrait d’une Amérique profonde exsangue d’activité économique et donc de richesse, très loin des succès story des grandes métropoles.
Le rêve américain est mort et Comancheria tire à bout portant sur son cadavre qui bouge encore un peu.
Un excellent film au ton racé et d’une grande classe.
La piste aux Lapins :
N°17 – « Dernier train pour Busan » de Sang-Ho Yeon
Le cinéma sud-coréen est décidément surprenant. De grands maitres ont donné un nouveau souffle au thriller (Park Chan Wook avec Old Boy, Sympathy for Mister vengeance ; Memories of murder de Bong Joon Ho ; A bittersweet life de Kim Jee-woon ; The murderer et the Chaser de Na Hong-jin)
…ou se sont diversifiés vers l’horreur, la SF voire le western (The Host et Mother de Bon Joon Ho ; J’ai rencontré le diable et Le bon, la brute et le cinglé de Kim Jee-woon ; The strangers de Na Hong-jin)…
Sang-Ho Yeon arrive donc avec un film de zombies, « Dernier train pour Busan » et confirme une règle…les suds-coréens savent digérer les références culturelles occidentales et leur donner une tournure nouvelle. Car insuffler de la fraicheur au film de zombies c’est quand même balaise.
Et pourtant, ce « World War Z » asiatique au budget microscopique en comparaison du film avec Brad Pitt, est tout simplement bien meilleur.
Tout d’abord parceque le héros n’en n’est pas un. Il est normal et même très égoïste et coupé du monde de par son travail. La relation qu’il entretient avec sa fille donne au film de la profondeur. Les autres personnages sont eux aussi écrits et s’en trouvent attachants, évitant de tout concentrer sur le héros.
Bien sur, il y a des clichés, tous les clichés du film de zombies…mais le réalisateur dissémine quelques moments de regard inversé de la société assez bien vus, notamment lorsque l’entraide laisse la place au chacun pour soi.
Le confinement dans le train rappelle l’excellent concept du Snowpiercer de Bong Joon Ho, exploitant tous les recoins de cet espace clos pour attiser le suspens et la frayeur. L’inventivité créé la tension.
Les zombies sont hyper rapides et se transforment aussi en à peine une minute, ce qui attribue au film un booster encore plus fort. Les attaques sont bien plus impressionnantes que dans les blockbusters américains. L’une des scènes finales dans la gare et la scène où les passagers s’arrêtent dans une mauvaise gare sont d’un point de vue mise en scène, excellentes de bout en bout.
Et puis le film est sombre, très sombre sur la nature humaine. Pour une fois, le spectateur est violenté tout en étant diverti grâce au sous-texte social. L’acceptation d’un individualisme libéral sans aucune direction permet elle de faire face à un cataclysme imprévu ? La métaphore est belle et fait que la rédemption du héros n’en n’est que plus percutante.
La piste aux Lapins :
N°16 – « Frantz » de François Ozon
Avec ce nouveau long métrage, le prolifique et talentueux François Ozon change de style et aborde un sujet très différent de sa filmographie. Il s’intéresse au pardon, à la culpabilité pour des êtres jetés dans la tourmente et la boucherie de 14-18. Il le fait avec un angle d’accroche original par son scénario bien que très classique dans sa mise en images.
Le noir et blanc pour épouser l’époque et le visage très années 20 de Pierre Niney collent parfaitement à cette époque post traumatique où allemands et français vivent chacun dans leur pays en ruine, soulevés par une haine de l’autre qui n’est pas encore retombée, les blessures étant béantes.
Ozon arrive, en racontant l’histoire de cet étrange jeune français venant fleurir la tombe d’un jeune allemand dans sa ville natale, à instaurer un certain mystère. Qu’y avait il entre les deux jeunes gens , Pourquoi cet homme est il si tourmenté, si attaché à un autre jeune garçon tombé au combat ?
La pudeur et la finesse de l’interprétation de la famille allemande y est pour beaucoup, au premier rang desquels Paula Beer, qui illumine le film de sa tristesse mélancolique. On voit le visage à fleur de peau de cette jeune fiancée fauchée dans son futur, s’illuminer peu à peu, reprendre espoir. C’est elle le vrai premier rôle auquel on s’attache en quelques minutes, telle une Romy Schneider des temps modernes, d’une beauté évidente dont on ressent toutes les fêlures à l’intérieur.
Pierre Niney joue peut être un peu trop de façon théâtrale mais ceci ne m’a pas dérangé, car le jeu colle au personnage à la limite de la folie que lui a dessiné Ozon.
Le réalisateur choisit un ton neutre, celui du noir et blanc pour montrer à quel point, l’humain, même au fond du trou, a besoin de se raccrocher à quelquechose, à un espoir de renaissance, même par procuration. Mais il n’oublie pas le rythme de son récit pour nous balloter dans une enquête sur le passé puis sur l’avenir avec déconvenues ou surprises qui font le sel du long métrage.
Il arrive à nous émouvoir avec le plus grand des classicismes dans sa mise en scène, avec un film étonnamment très sage pour cet auteur qui nous avait habitué à surprendre. Mais pourtant, ceci fonctionne car l’histoire est troublante et qu’elle capte un moment de l’histoire qu’on n’a pas si souvent raconté.
Le film est plus dense qu’il n’y parait et porte un message politique très fort. En enfants d’une Europe sans guerres depuis deux à trois générations, nous avons perdu l’habitude de mesurer la force de ce qui a été construit à partir de la moitié du 20ème siècle. Frantz arrive à faire toucher du doigt cet acquis sans le faire avec de gros sabots, juste un peu de poésie, des miroirs entre les deux peuples éreintés et l’universalité de la douleur de pères et mères face à des guerres inutiles.
Ce film pacifiste est aussi celui de la maturité de François Ozon et on ne peut que se réjouir de le voir progresser encore tant le niveau de ses précédents films était déjà excellent. Il signe un film élégant et ample, et atteint une belle sérénité dans sa mise en scène.
La piste aux Lapins :
N°15 – « Juste la fin du monde » de Xavier Dolan
Le nouveau Xavier Dolan est l’adaptation de la pièce de Jean-Luc Lagarce, où l’on suit Louis, qui, après 12 ans d’absence, retourne dans sa famille pour annoncer sa mort prochaine.
Avec « Juste la fin du monde« , Xavier Dolan va diviser probablement critique et public là où pour l’instant ses films étaient accueillis avec bienveillance. La raison est assez simple et elle est double. Ce que certains n’aimaient pas dans le côté hystérique de ses personnages, parfois théâtraux, est encore plus affirmé. Il s’agit d’une adaptation de pièce comme Tom à la ferme mais ça se voit davantage car Dolan ne cherche pas à s’éloigner du huit clos familial. Ensuite, les effets de style, la musique et l’aspect clipesque de certaines scènes sont là, toujours là. Et ce style Xavier Dolan agace certains et comme c’est encore plus affirmé, ça va donc saigner.
Au premier abord, je trouve que ces effets de style se voient un peu trop et que les acteurs se voient un peu trop jouer. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas été cueilli par la même émotion que sur Mommy par exemple. Ce n’était pas immédiat. La scène finale de Vincent Cassel est trop bigger than life, trop « je suis acteur et je vous fait une démonstration« .
En revanche Marion Cotillard est tout en nuances, d’autant que son personnage finit rarement ses phrases. Le regard transmet alors toute sa soumission par rapport à son mari, son manque de confiance en elle et le fait qu’elle comprend, elle qui est une pièce rapportée à ce petit théâtre familial.
Léa Seydoux assure en petite sœur enfermée dans une petite vie paumée à la campagne et qui rêve d’éclore. D’autant qu’elle a un frère célèbre, frère fantôme qu’elle fantasme en sauveur, en figure paternelle et à qui elle en veut aussi car elle ne comprend pas pourquoi. D’ailleurs l’histoire n’explique jamais la raison principale de cette distance prise par Louis avec sa famille. Qu’est ce qui a déclenché tout cela ? Rien de particulier sans doute et on le comprend au fil de ces retrouvailles chaotiques. Il a tout simplement fui pour vivre sa propre vie, fui parcequ’il avait l’ascendant, le talent, la beauté et qu’il ne voulait pas assumer ce rôle, pas être au centre de leur vie mais de la sienne.
La scène entre Nathalie Baye, qui joue une mère un peu folle, irresponsable en apparence et son fils joué par Gaspard Ulliel, est pour le coup très émouvante. On comprend tout de l’excès de cette mère ogre qui a tenté de combler le vide, d’abord celui du père décédé, et celui de sa jeunesse perdue, puis celui de son fils chéri qui l’a mise à l’écart pour mieux s’épanouir. L’étouffement qu’elle provoque est touchant car on comprend que tous ces personnages comblent un vide et continuent à vivre dans leur village, dans une vie totalement décalée de celle de l’enfant prodige qui n’avait d’autre choix que de partir, pour lui.
Gaspard Ulliel trouve probablement son meilleur rôle avec le Saint Laurent de Bonello. Sa diction, son regard amusé, désabusé, tendre, triste, font du personnage de Louis un quasi fantôme qui revient une dernière fois hanter ses proches. La nuance de son jeu combinée à la manière dont Dolan capte ses moindres réactions font de sa prestation une des réussites majeures du film. Il était important qu’on s’attache à Louis, qu’on comprenne la raison de son départ alors qu’il ne l’explique jamais, lui, l’auteur économe de mots. Chaque phrase est ainsi pesée, et prononcée de telle sorte qu’on scrute le visage filmé en plein cadre, afin de distinguer tout ce qu’il ne dit pas.
« Juste la fin du monde » n’est donc pas un film aussi évident et aimable que les autres films de Xavier Dolan. L’émotion se cherche et peut se heurter à la théâtralité des situations ou le jeu d’un Cassel en surjeu justement. Mais ce décalage et cette cacophonie est volontaire par rapport au personnage central de Louis. La panique s’éprend de cette famille qui n’a jamais compris le départ et pas plus ce retour inopiné. Elle sent que quelquechose de grave est en train d’arriver. Et pour mieux se protéger, tous préfèrent surjouer leurs propres personnages, avec les étiquettes immuables qu’ils se sont distribuées.
« Juste la fin du monde » n’est donc pas un film dont il faut sortir avec un avis tranché. Il se décante, se réfléchit et au final apparait comme un film très ambitieux sur la construction/ déconstruction des rapports familiaux, où la place de chacun est telle que l’absence du plus silencieux mais du plus charismatique peut créer un vide déstructurant. Faites l’effort de ne pas juger le film sur ses apparences car il parle justement de cela, de la théâtralité d’une vie et de la difficile communication d’êtres qui ne se sont pas choisis puisqu’ils sont de la même famille. Et pour le coup, c’est la première fois que Xavier Dolan livre un film à double détente, un film plus mature, auquel on pense plusieurs jours après.
La piste aux Lapins :
N°14 – « 99 home » de Ramin Bahrani
« 99 home » ne sort pas au cinéma mais directement en Vod et c’est un scandale !
En effet, il s’agit d’un excellent film sur les conséquences de la crise des subprime, les conséquences humaines désastreuses et l’envers du décors d’une Amérique où on peut réussir facilement et sombrer très profond sans aucun filet.
Le film débute par une scène violente psychologiquement où le très expressif Andrew Garfiel est délogé de chez lui, expulsé avec sa mère et son fils par un agent immobilier sans scrupules, qui est missionné par les banques pour saisir physiquement les biens des emprunteurs surendettés. Il s’enrichit sur le malheur et la misère des autres. Le personnage joué par Michael Shannon est flippant car c’est un cow boy qui veut faire du fric à tout prix, prendre sa revanche sur la vie et marcher sur les autres sans aucun état d’âme.
Pour lui ces maisons rachetées à la casse sont des boites accumulées et les faillites familiales qu’il y a derrière, le fait qu’un vieillard se retrouve à la rue au sens premier du terme, ce n’est pas son problème. C’est un être sans aucune compassion pour son prochain. Si ce rôle est en or pour cet acteur de talent, celui de Garfield est aussi intéressant car il vend son âme au diable pour survivre. On voit toute la cruauté d’un capitalisme sans aucune barrière, sans Etat pour poser des limites. C’est juste la loi de la jungle ou du war west. L’Amérique s’est construite ainsi dit le personnage de Shannon.
On voit tout le cynisme d’un système où les perdants enrichissent ceux là même qui ont provoqué la crise en vendant du crédit à des gens qui n’avaient pas les moyens d’assumer les échéances. Leur excuse se limite à « ils n’avaient qu’à pas s’endetter« …C’est sûr qu’il y a un monde entre la protection légale qui existe en Europe pour informer le consommateur et ce qui s’est passé aux Etats-Unis.
Le rêve américain devient ainsi un cauchemar dans cette Floride ensoleillée. Ramin Bahrani ne fait pas pour autant du Ken Loach ou des mises en scènes déjà vues. Il filme ses personnages comme des félins dans un monde sauvage, avec un scénario jamais démago, aux arguments saisissants.
« 99 home » est un film sur le cynisme du billet vert, sur une Amérique tétanisée par les excès de son système, comme des grands enfants qui auraient joué au Monopoly avec tout ce qui leur appartenait. Le réalisateur pointe tant l’irresponsabilité des emprunteurs que la vision gerbante des promoteurs charognards.
Que le grand prix du 41e Festival de Deauville ne sorte pas en salles est vraiment hallucinant.
La piste aux Lapins :
N°13 – « Steve Jobs » de Danny Boyle
Il est assez hallucinant de voir à quel point la promotion de « Steve Jobs » tant aux Etats-Unis qu’en Europe est ratée.
On en entend quasiment pas parler alors que son réunis le réalisateur de Trainspotting, 127 heures, 28 jours plus tard et j’en passe, l’un des meilleurs acteurs au monde en la personne de Michael Fassbender et Aaron Sorkin, le scénariste de l’autre excellent biopic du même genre, « The social Network« .
Il est vrai le film n’est pas facile à vendre et le résultat n’est pas très commercial. D’ailleurs le film rentre à peine dans ses frais niveau box office monde…
Le film est très bavard et son concept est certes excellent mais peut rebuter. Car comment raconter l’histoire d’un entrepreneur de génie qui n’était pas lui même à l’origine des créations mais qui savait juste bien les packager, bien les vendre ? Comment raconter l’histoire d’un type obsédé par le concept et convaincu que c’était le nerf de la guerre et que les créateurs, les vrais, les informaticiens, devaient pédaler derrière pour s’adapter à l’objectif ?
Et bien Aaron Sorkin a eu une idée toute simple. Il a divisé son scénario en trois actes, trois lieux, trois périodes de la vie de Steve Jobs, trois moments où il lançait un produit et faisait un de ses célèbres shows devant la presse. Et pour le coup le film est conceptuel lui aussi ! Quel plus bel hommage ?
Forcément, ce choix radical a dû rebuter un certain public d’autant que le personnage de Steve Jobs est loin d’être sympathique. C’est même plutôt un sale con et çà fait un bien fou de voir un biopic qui ne soit pas consensuel justement, tout comme ne l’était pas The social Network…écrit par Aaron Sorkin…
Michael Fassbender ne ressemble pas du tout au vrai Steve Jobs mais c’est un acteur caméléon et là pour le coup, il est parfait dans le job…ahah…
Danny Boyle use de son talent de monteur pour donner l’impression que chaque séquence est limite un long plan séquence mettant en parallèle l’époque de sa vie précédente.
Le film a le talent de s’intéresser vraiment au personnage, à son asociabilité, sa suffisance, son manque total d’empathie, ses blessures personnelles de petite enfance qui l’ont transformé en cet être dénué de sentiments normaux.
Son incapacité à être père, son obsession à nier sa paternité est au centre du récit car elle explique beaucoup de choses, ses échecs comme ses succès. D’ailleurs, le film remet l’église au milieu du village et rappelle qu’il connu deux monstrueux fours avant de faire décoller Apple avec l’iMac.
Alors était il trop en avance sur son temps et trop ambitieux sur l’évolution technologique lorsqu’il se planta dans les années 80 et fut licencié de la propre entreprise qu’il avait créée ? Ou était il juste trop buté et trop sûr de lui pour assumer le minimum de souplesse nécessaire ? C’est à ces traits de personnalité complexe que le film s’intéresse.
Un tel degré d’exigence et une telle qualité dans le jeu, dans le choix scénaristique et les dialogues sont rares pour une production de cette importance.
La piste aux Lapins :
N°12 – « Captain Fantastic » de Matt Ross
« Captain Fantastic » a été vendu à travers les festivals où il a cartonné auprès du public et de la presse, comme un « feel good movie« . Il est vrai que l’histoire de ce père aux valeurs de gauche anti capitalistes, qui élève ses six enfants à la dure, en pleine nature, a de quoi provoquer bien des sourires et des adhésions tant son discours est utopiste. Et pourtant ce serait faire injure à la qualité du film que de le réduire à un slogan marketing alors que c’est une très jolie fable.
Tout d’abord parceque Viggo Mortensen est un formidable acteur, une nouvelle fois excellent. Mais surtout parceque le film aborde des thématiques bien plus profondes qu’un message altermondialiste vu et revu. On y parle donc d’utopie et de la confrontation de cette dernière au monde d’aujourd’hui, aux désidératas d’adolescents qui doivent chacun trouver leur chemin.
Le long métrage aborde donc frontalement les limites du militantisme actif, des choix radicaux de s’exclure de la société d’aujourd’hui, sans les juger ni dans un sens ni dans un autre, avec juste un regard bienveillant sur ces êtres attachants tout comme sur ce grand père matérialiste mais plus ancré dans cette réalité qui a uniformisé le monde.
Le film a ce souffle de l’innocence, cette tendresse pour ses personnages, cet humour premier degré qui fait du bien car il est loin du cynisme dont nous sommes tellement habitués depuis deux décennies.
Et puis surtout, « Captain Fantastic » est très émouvant et vous cueille à des moments attendus et pourtant, çà marche. Est ce que c’est cliché ? Et bien pas forcément, non, car le naturel et la simplicité de l’histoire désarçonnent à bien des moments. Et surtout le film ne porte pas de jugement moralisateur ou de conclusions définitives. Il ouvre des fenêtres et c’est cette générosité sur le monde qui le rend troublant.
On a peur pour ces personnages lunaires et marginaux car ils sont totalement hors sol et pourtant si irrésistiblement attachants. Ils ont en partie compris le sens de la vie en communauté mais cette théorie ne tient pas la confrontation. Et c’est ce qui fait la préciosité de ce récit, cette capacité à faire toucher du doigt un mode de vie parfois risible et parfois enviable tout en emportant une adhésion de tout instant.
Captain Fantastic est un film lumineux à voir de toute urgence.
La piste aux Lapins :
N°11 – « Star Wars Rogue One » de Gareth Edwards
Voici donc le 1er spin off de la saga Star Wars, Disney ayant décidé de rentabiliser l’achat de Lucas Film en lançant entre chaque épisodes des deux nouvelles trilogies en cours, un film se situant à un moment de l’histoire officielle et s’intéressant à d’autres personnages que les Skywalker. Pas de Jedi et d’enjeux de filiation ici mais l’histoire d’une bande de rebelles décidés à voler les plans de l’étoile noire pour permettre à la résistance de détruire ensuite cet engin de mort. Le film se situe donc avant « Un Nouvel espoir« , le quatrième épisode et 1er historique.
Et le moins qu’on puisse dire c’est que le film est excellent alors qu’on pouvait craindre une simple démarche commerciale et que les reshoots nombreux opérés cet été sur le film pouvaient grandement rendre dubitatifs sur le résultat.
On ne connaitra jamais l’ampleur effective des scènes retournées à la hâte mais le film a clairement une identité à part entière dans la galaxie Stars Wars tout en étant un film de la saga. Comme pour le septième épisode sorti l’an dernier, le féminisme est assumé avec une héroïne emblématique. Félicity Jones est de tous les plans et elle assure grave face à un casting de tout premier plan avec Ben Mendelson en grand méchant, Diego Luna, Mads Mikkelsen, Riz Ahmed ou Forest Whitaker. Il est évident que le casting aide à incarner ces personnages ultra tendus dans une galaxie où l’Empire est sur le point d’écraser la rébellion.
Le robot K-2SO est un des personnages les plus réussis, et non un faire valoir comique. Un certain personnage de la trilogie originelle est de retour, de façon totalement inattendue puisqu’on ne voyait pas comment le faire revenir et bien sûr Dark Vador is back ! Alors certes, il a très peu de scènes mais ceci suffit à assurer le fan service.
Globalement le film est très tendu et c’est avant tout un film de guerre, sans l’humour potache qu’on peut trouver dans d’autres Star Wars, c’est sombre voire même très sombre. Le film est crasseux et montre un monde totalement dominé par l’Empire, où les rebelles ont du s’adapter à la violence de leurs ennemis et oublier certains de leurs principes. Cette idée est excellente car elle donne de l’humain et de l’attachement immédiat aux personnages. Or cette complexité là faisait défaut au Réveil de la force.
Ce choix scénaristique qu’on n’attendait pas de Disney rassure et donne au film une très belle ampleur. Le dernier quart d’heure fait décoller le film, déjà d’excellente facture, parmi les meilleurs de la Saga, juste après L’empire conte attaque et Un Nouvel Espoir. Tous les ingrédients des meilleurs opus sont là, y compris des enjeux dramaturgiques simples et forts. Rogue One est donc non seulement une excellente surprise et satisfera tous les fans mais c’est surtout le signe que Disney a choisi de respecter religieusement l’univers en question et de se fixer des objectifs de plus en plus haut, et çà, c’est très très rassurant. La saga Star Wars retrouve le souffle et se renouvelle.
La piste aux Lapins :
La suite des 10 premiers films 2016 dans quelques jours…
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