Les meilleurs films de l’année 2016 du Blanc Lapin : N°10 à N°01

Après avoir détaillé le classement du Blanc lapin du N°20 au N°11 (cliquez ici pour le retrouver), nous poursuivons avec les films qui m’ont le plus accroché en cette année 2016 !

 

N°10 – « Premier contact » de Denis Villeneuve

Les meilleurs films de l'année 2016 du Blanc Lapin : N°10 à N°01 dans Dossiers Premier_Contact

Denis Villeneuve est devenu l’un de mes chouchous avec ses remarquables films « Incendies« , « Prisoners« , et « Sicario« . On l’attend l’an prochain avec la suite du chef d’oeuvre de SF « Blade Runner« , intitulée « Blade Runner 2049 » et ce qu’on peut dire à ce stade, c’est que la SF lui va bien, même très bien.

Avec « Premier contact« , on aurait pu craindre un reboot caché de « Rencontre du troisième type » de Steven Spielberg et sa naïveté un peu datée, ou pire un énième film d’invasion extraterrestre dont la plupart sont bourrins et aux scenari identiques. Car oui, ici, douze vaisseaux spatiaux apparaissent à la surface de la terre, aux douze coins du globe et il est indispensable de comprendre les intentions de ces visiteurs.

La première force du film est d’opter pour un calme absolu. On voit certes la panique des populations qui inévitablement s’emparerait du monde dans une telle situation, mais on le voit via des écrans de télévision, des news de chaines continues, permettant d’instaurer une distance avec cette frénésie et de nous isoler avec l’héroïne, les militaires et les scientifiques. Il n’y a pas de grands effets spéciaux destructeurs mais une réflexion sur comment entrer en contact avec une autre civilisation, s’inspirer du passé de l’homme quand des cultures se sont percutées et surtout, éviter les raccourcis.

Pour imposer ce mélange de curiosité, d’interrogations, de peur de l’avenir, Denis Villeneuve a choisit l’une des meilleures actrices au monde, Amy Adams, qu’on retrouvera très bientôt en janvier dans le parait-il excellent second film de Tom Ford, « Nocturn Animals« . Son jeu est parfait de sensibilité introvertie et de regards énigmatiques lorsqu’elle est en pleine réflexion. Et pourtant, un film sur des aliens et des spécialistes du langage qui jouent à « dessiner c’est gagné » c’est comment dire…potentiellement très chiant.

Or malgré sa durée d’1h56, le film tient en haleine de bout en bout tant les aliens en question sont insondables par leur apparence et leur manière de communiquer. L’idée même des vaisseaux, du physique de ces aliens est originale. Mais surtout Villeneuve filme avec douceur, retenue, un sujet susceptible de tomber dans l’épilepsie filmique à tout moment. Il introduit aussi une seconde histoire en parallèle qui provoquera une émotion et un dénouement inattendu, faisant décoller le film au niveau d’un très bon film de SF car différent et ne sombrant pas dans les clichés multiples du genre. Il s’intéresse alors à la relativité du présent et du futur, à l’acceptation de la mort comme point d’orgue d’un cycle et c’est très beau.

« Premier contact » est un très beau film humaniste, d’un stoïcisme assez rare pour ce type de production, un film intelligent, délicat, qui passe du mystère de l’univers à celui de l’humain en un clin d’œil  bref et d’une efficacité émotionnelle assez inattendue. Denis Villeneuve est un des grands réalisateurs de son temps et les fans de Blade Runner dont je suis peuvent être rassurés, l’an prochain nous pourrons vivre un autre grand moment de science fiction grâce à lui.

 

N°9 – « Kubo et l’armure magique » de Travis Knight

w6gn dans Films - critiques perso

Kubo est un jeune garçon aux pouvoirs magiques, qui conte des histoires dans un village de bord de mer en faisant s’envoler des origamis. Mais c’est surtout l’héritier caché du dieu lune, son grand-père, qui le cherche depuis la mort de son père afin de lui arracher son deuxième œil et l’empêcher de se rebeller contre lui.

« Kubo et l’armure magique » est de très loin le meilleur film d’animation des studios Laika, à qui l’on doit Coraline (2009), Paranorman (2012), Les Boxtrolls (2014).

Comme pour les autres longs métrages, c’est la technique magnifique de L’étrange Noël de Mister Jack qui est utilisée, le stop-motion !

Et le résultat d’un film animé par des marionnettes puis retravaillé en studio est tout simplement ultra classe. Car chaque mouvement et une expression de marionnette différente et à l’écran, çà ne se voit plus du tout, à tel point qu’on pense que le film est une animation 3D qui imiterait le stop motion. Mais non, pour arriver à un tel résultat il faut 5 ans de travail, 94 semaines de tournage, 35 animateurs, 400 personnes, 250 000 feuilles de papier, 70 plateaux mais le résultat est surprenant car vraiment vraiment magnifique. Qu’une marionnette fasse passer autant d’émotion c’est juste un petit miracle.

L’univers médiéval japonais de Kubo est non seulement très original (sachant que le studio est de Portland aux Usa) mais surtout d’une poésie et d’une finesse rarement vue pour un tel projet d’animation.

Le film et les mouvements sont fluides, l’action est très présente, l’histoire est une simple quête mais parsemée de moments où on se surprend émerveillés par le résultat. Le film parle aussi aux petits du deuil, de la résilience, de la filiation avec des messages qui ne sont jamais balourds.

Quant le tour de force technique est tout aussi bluffant que la beauté de son récit, je ne peux que vous inciter à courir voir ce petit bijou.

 

N°8 – « Saint Amour » de Benoît Delépine, Gustave Kervern

479468 dans Les meilleurs films du Blanc Lapin

Ce septième film de Benoît Delépine et Gustave Kervern est probablement leur plus accessible, leur plus généreux et l’un des plus drôles aussi.

Quelle idée géniale que de réunir deux acteurs connus pour leurs excès et monstres sacrés d’un cinéma parfois populaire, parfois « auteuriste » et souvent les deux à la fois.

Gérard Depardieu interprète Jean, le père de Bruno (Benoît Poelvoorde) et les deux sont en plein salon de l’agriculture pour y montrer leur taureau Nabuchodonosor. Vous les imaginez très bien dans cet univers « bucolique » et festif ? Vous avez raison, ils y sont parfaits. Mais on ne reste pas longtemps dans le salon car Jean, devant le pétage de plomb depressif de son fis, décide de l’amener faire la route des vins, avec un chauffeur privé, joué par un Vincent Lacoste cynique et sûr de lui. Ce dernier incarne la génération d’après Bruno et apporte une dimension décalée et oh surprise, touchante à ce road movie pas banal.

Car oui, Delépine et Kervern ont décidé de parler de sentiments, d’amour filial, de deuil, de malheur amoureux mais tout çà avec une tendresse qui vous cueille à des moments inattendus et on n’avait pas mais alors pas du tout l’habitude de cela de leur part. Ils restent certes fidèles à leur humour décalé, le film étant d’ailleurs le plus drôle avec « Louise Michèle« . Mais cette fois ci ils utilisent ces trois excellents acteurs pour nous conter une belle histoire de décrochage, de parenthèse enchantée pour des mecs qui bossent sans compter et dont le travail d’agriculteur leur empêche d’avoir une vie indépendante. Depardieu est incroyable lorsqu’il dégage une délicatesse troublante malgré sa carrure d’ogre maladroit. C’est l’un de ses plus beaux rôles depuis longtemps et çà fait un bien fou pour tout cinéphile qui connait l’animal et ce dont il est capable. Quant à Poelvoorde, son rôle est très beau. Il oscille entre pathétique et comique, son personnage étant brisé, blessé mais lui aussi très touchant.

Et puis tout en rendant hommage à cette France profonde avec un regard bienveillant, Benoît Delépine et Gustave Kervern optent pour des chemins de traverse qu’on leur connait si bien et qui font leur identité de cinéastes. Car la marque de fabrique des deux réalisateurs est aussi de s’inspirer fortement d’Aki Kaurismaki, de scènes parfois surréalistes et drôles voire poétiques. L’absurde fait souvent mouche et déclenche l’hilarité mais c’est la première fois que leur scénario mêle habilement l’ensemble avec autant de cohérence. Autant pour leurs tous premiers films, leurs essais pouvaient sembler trop radicaux pour certains (par pour moi j’ai adoré Aaltra), autant ici cet ingrédient donne au tout une ampleur dont Bertrand Blier n’aurait peut être pas renié le résultat.

Bref, allez voir « Saint Amour« , un film émouvant, drôle, engagé, libre avec le style de plus en plus fluide de deux réalisateurs qu’on a plaisir à voir évoluer et offrir quelquechose de différent à chacun de leurs projets. Respect.

 

N°7 – « Elle » de Paul Verhoeven avec Isabelle Huppert

464442

Voir Paul Verhoeven, revenir à 77 ans, réaliser un film français, 10 ans après son précédent long métrage sorti mondialement, Black Book, c’est en soit un évènement.

Mais ce qui est le plus réjouissant c’est de voir qu’il est très en forme et renoue avec ses thèmes de prédilections, servi par une Isabelle Huppert plus trouble que jamais.

« Elle » est donc l’adaptation du roman « Oh… » de Philippe Djian, sorti en 2012 et prix Interallié. On y suit Michèle, working girl chef d’entreprise, qui dirige une entreprise de jeux vidéos. Elle semble blasée par la vie et très détachées du quotidien, comme de sa vie sentimentale…mais un jour elle se fait violer chez elle par un inconnu qui entre par effraction.

Et parceque l’histoire de son père meurtrier a détruit sa vie et qu’elle a su y faire face et s’en sortir, elle préfère ne pas faire appel à la police et régler elle-même son enquête et sa vengeance.

Verhoeven nous montre une vision du sexe pas banale car dénuée de tout jugement moral et de tout voyeurisme.Verhoeven se fout des conventions et les envoie balader très vite pour mieux se concentrer sur son monstre froid et intriguant qu’est le personnage d’Isabelle Huppert. Cette femme est sulfureuse mais pas antipathique pour autant car on devine ses blessures, ses échecs et le masque qu’elle s’est créée, la distance qu’elle a choisi comme bouclier vis à vis du reste du monde. Elle a vue l’horreur adolescente et le jugement de la foule déchainée, elle a vu l’excès et les barrières morales ont justement cédé.

Les pulsions sont tantôt malsaines, tantôt libératrices, parfois outils de manipulation mais font partie du quotidien des personnages, alors pourquoi les traiter honteusement ? Il préfère les regarder en face et décortiquer leurs incidences psychologiques sur les personnages. C’est provocateur certes mais jamais de mauvais goût. Bien au contraire, il distille de l’humour à des moments où on ne s’y attend pas du tout avec une ironie salvatrice qui donne à ce grand jeu de cache cache une couleur très particulière. On est à la limite de la folie et sur le fil du rasoir en permanence, un certain malaise restant en suspens tout au long du film. Le film nous surprend et joue avec nos prérequis avec un plaisir coupable pour les rebondissements tordus.

Avec ce film dérangeant, grinçant mais comique, satirique et cynique, Paul Verhoeven signe sont grand retour et a annoncé vouloir tourner rapidement un autre long métrage en France. C’est réjouissant car son talent manquait au septième art et il est de retour, enfin !

 

N°6 – « Nocturama » de Bertrand Bonello

Avec ce sujet éminemment casse gueule, Bertrand Bonello revient avec son meilleur film, encore plus abouti que son « Saint Laurent » et son « Apollonide« .

Le film débute par un long ballet de jeunes gens dans les rues et le métro parisien. On pense forcément à Gus Van Sant et son Elephant, puisqu’on suit de manière silencieuse, sans aucun dialogue des personnages sur le point de faire quelque chose de grave. Et pourtant, ils ont des têtes de gamins, ils sont très jeunes. On les verrait plutôt aller en fac qu’aller poser une bombe. Le métro ou les rues sont d’ailleurs filmés sans effets de mise en scène particuliers, de façon ultra réaliste.

C’est juste le découpage et la synchronisation qui font de cette première partie, une mise en scène du pire assez fascinante par la banalité des intervenants et la confrontation au réel. On se dit que ce n’est pas possible, qu’une telle organisation n’est pas millimétrée à ce point par des post-adolescents …et pourtant on réalise peu à peu et bien sur, on pense à tout ce qui est arrivé depuis dix-huit mois en France et en Belgique et on se dit que si, c’est possible et c’est très, très simple.

Bertrand Bonello fait ensuite s’enfermer les personnages dans un grand magasin afin de se faire discrets. Il n’explique pas pourquoi, à aucun moment. Il ne donne aucune indication non plus sur leur mobile. Il ne semble pas religieux. Les jeunes gens se mettent alors à dialoguer. On perçoit quelques ressentis contre la société mais rien de très clair. D’autant qu’ils sont eux-même fashion victimes, acteurs de ce monde consumériste et quelle belle idée que de leur offrir comme lieu de refuge un grand magasin dans lequel ils gouttent à tout avec frénésie. L’une des scènes montre l’un des jeunes avec le même T Shirt Nike qu’un mannequin en face de lui. Il n’y a pas mieux comme image pour résumer ce décalage total entre des jeunes qu’on comprend révolutionnaires et leur absence de logique et de réflexion.

Les personnages peuvent même pour certains provoquer de l’empathie mais elle est suivie rapidement par un effroi terrible, face à leur détermination et leur absence totale de regret, de considération pour les personnes tuées. L’une des filles s’inquiète du nombre de morts provoqué par leurs attentats, ayant fait sauter des bombes non pour tuer mais pour le message…tandis que d’autres n’ont aucune notion de ce qu’ils viennent de commettre, de la valeur d’une vie. Ils ont fait quelque chose d’inédit et c’est plus important que le fond. Tout devient objet dans cet immense univers de consommation et plus rien n’a d’importance. On vient de tuer des agents de sécurité et on joue trois minutes après sur une console en écoutant de la musique à fond. Où est l’intellectualisation de leur mobile. Où est la responsabilité de l’ogre qui engloutit les idéaux pour leur vendre ces consoles ? Nulle part et c’est encore plus effrayant que lorsqu’il y a une revendication, tout aussi inexcusable et condamnable soit elle.

Ces personnages confondent absolument tout et sont donc capables du pire car ils sont en colère et « purs » dans leur criminalité. Mais comme on ne connait pas le message exact et qu’ils n’ont pas l’air de bien le maitriser non plus, le gouffre semble encore plus béant. Qu’est ce qui a déconné à ce point pour que ces gamins se solidarisent autour de ce projet terroriste ? Peut-être rien de très concret, et juste de la manipulation…

C’est donc brillant que de choisir des individus tous mignons, sans revendications ni conscience politique apparente, pour dresser ce portrait de jeunes hors sol qui veulent cesser d’être spectateurs de leur destin et commettent des actes atroces sans aucune conscience.

La mise en scène est bluffante, Bonello choisissant de terminer son film sur une vision opératique de la chute. Sa façon de remontrer une scène sur divers angles à partir du début d’une chanson, est tout simplement l’une des meilleures idées de cinéma depuis longtemps. Ce n’est peut être pas nouveau, mais là c’est ultra efficace.

On suit le mouvement des corps qui fuient, qui tombent, qui ont peur, que sont amenés vers un destin tragique et inévitable. Le ballet reprend alors, mais de façon confinée dans un espace clos qui représente tout ce qu’ils ont voulu détruire, emprisonnés dans ce mausolée alors qu’ils étaient libres de leur mouvement et en plein air lorsqu’ils ont commis l’irréparable. C’est visuellement d’un formalisme qui force le respect.

 

N°5 – « The Neon Demon » de Nicholas Winding Refn

319878

Le retour du réalisateur de « Drive » a de nouveau divisé la croisette à Cannes cette année, comme il l’avait fait avec « Only god forgives » il y a trois ans. Il faut dire que son concept est tout autant basé sur de la pure mise en scène, beaucoup d’esbroufe et une stylisation qui cannibalise parfois le propos. Celles et ceux qui veulent revoir un duplicata de Drive en seront donc pour leurs frais. Refn ne fera peut être plus de film aussi « grand public » et si « Bronson » était très bon et construit, on oublie souvent son « Valhalla Rising, le Guerrier silencieux » qui était bien perché et se foutait des conventions narratives.

Ici avec, « The Neon Demon« , le scénario est tout aussi mince que dans le précèdent opus mais personnellement, je m’en fout. Car Winding Refn est juste brillant dans sa façon de raconter son histoire, de sublimer ses personnages, de créer une tension morbide dans cette histoire parfois lesbienne, parfois un peu gore mais jamais vraiment ultra trash. Ça ne dégouline pas de partout car il veut juste nous exposer sa vision de l’asservissement du corps à une beauté irréaliste définie par quelques grands meneurs d’opinion du milieu. Le culte de la perfection est montré d’une façon si morbide que le film en devient vraiment troublant et marque la rétine de longs jours après son visionnage.

Elle Fanning est excellente en jeune ingénue, pas agaçante pour être tête à claque, pas naïve non plus mais juste qui a la vie devant elle et un charisme tel que rien ne peut lui résister. Et pourtant, elle va se confronter à la jalousie, à l’envie d’autres mannequins, cyniques, frustrées, névrosées.

Winding Refn rend évidemment hommage au cinéma bis de Dario Argento mais surtout se fait énormément plaisir en étant radical dans ses choix. Il se tape complètement de l’accueil critique qu’il va jusqu’au bout de son fantasme. The Neon Demon impressionne par diverses scènes inventives visuellement, dont les codes remplacent bien des dialogues qui seraient tombés à plat. Le film est ultra léché et vous met quelques coups de poing dans la gueule sans vous avertir et c’est excellent comme sensation, d’enfin ne pas se sentir en milieu balisé, dans un style donné de film d’auteur mais bien dans un univers en mouvement. J’imagine d’ailleurs très bien Winding Refn tourner son film sans savoir exactement quelle serait sa fin.

Le film est par ailleurs souvent marrant, bourré de métaphores. Il se déroule de façon si fluide et utilise si bien la froideur de l’imagerie clipesque que son dénouement est d’autant plus glaçant.

« The Neon Demon » est un grand film esthétique sur l’obsession, la paranoïa, la concurrence et la vacuité de nos nouveaux dieux, mannequins éphémères, photoshopés et d’une tristesse sans nom.

Un coup de maitre.

 

N°4 – « Belgica » de Felix Van Groeningen

ob_7a87c7_224563

Après « Alabama Monroe » et « La merditude des choses« , très bien accueillis par la critique et le public, Felix Van Groeningen revient avec l’histoire de deux frères, Jo et Frank, qui vont ouvrir et développer leur propre bar, le « Belgica« .

Ils ont un idéal, celui de créer un lieu de fête, ouvert à tous, multiculturel et baigné dans le rock et l’électro, un endroit qui leur donne un boulot et les empêche de vieillir trop vite.

Frank est père d’un petit garçon et vit avec sa femme mais il s’ennuie, il a du mal à ne pas avoir la bougeotte, cherchant toujours un nouveau projet ; c’est un rêveur, un créatif, mais toujours dans l’excès. Jo est célibataire et fêtard aussi mais il a plutôt le sens des affaires et la tête sur les épaules ; il « grandit » là où son frère reste souvent incontrôlable.

« Belgica » est un film profondément sympathique et festif, l’enthousiasme de la création de ce lieu de perdition étant accompagnée de la bande son de Soulwax. A un moment on se demande si cette ambiance enivrante, cet endroit où on aimerait danser, ne dessert pas le film, qui, dans ses premières 45 minutes reste beaucoup dans le survol de ce décollage des deux frères vers le succès. Et puis Felix Van Groeningen distille peu à peu des indices. La fête permanente se transforme, prend un tour de soirée qu’on a tous connus, lorsque parfois on se dit que la débauche est veine et que la vie est ailleurs. Le réalisateur arrive parfaitement à capter l’évanescence du délire festif, l’anarchie de l’ivresse et l’absence d’accroche à la réalité. On ne construit pas une vie sur une série de beuveries et parfois çà vire à l’enlisement et çà devient moche. Moches aussi les rapports entre ces amis de fiesta qui n’ont pas tous les mêmes principes, les mêmes envies de long terme…et qui se connaissent peu, au final. Moche enfin lorsque l’un des frères sombre dans son côté obscur, ses démons de perdition de sexe et d’alcool, au mépris de ce qu’il a construit, au mépris de ses valeurs de partage et au prix du reniement de ses idéaux pour de l’argent.

Van Groeningen arrive de manière brillante à démontrer comment un rêve professionnel se ternit lorsque la réalité des affaires, de la rentabilité rattrapent les beaux principes et dénaturent le projet d’origine. On passe ainsi d’un film joyeux à la déception du réel pour revenir à ce qui compte le plus, les liens familiaux et amicaux. « Belgica » est un très beau film sur la fratrie. On choisit ses amis mais pas son frère. On doit donc faire avec ses défauts quoiqu’il arrive et trouver le courage d’affronter les démons familiaux là où des amis peuvent rompre de façon irréversible.

Encore un excellent long métrage pour Felix Van Groeningen. Un film bien plus profond que ne le laisse présager son début enchanteur et léger.

« Belgica » est généreux et bienveillant et çà fait beaucoup de bien.

affiche-belgica

 

 

Et on arrive au trio de tête…

 

N°3 – « Manchester by the sea » de Kenneth Lonergan

517800

Voici donc le bijou de cette fin d’année.

A la mort de son frère ainé d’une crise cardiaque, Lee est désigné tuteur légal de son neveu, qui a 16 ans. Mais Lee n’habite plus dans la ville depuis plusieurs années suite à un drame qui a provoqué la rupture avec femme Randi. Il a d’ailleurs tout quitté et s’est éloigné du Massachusetts mais pas de son frère décédé. Son neveu Patrick l’a toujours admiré mais Lee semble plombé par le passé.

« Manchester by the sea » se situe dans une classe ouvrière du Massachusetts plutôt pauvre, où tout le monde se connait et tout le monde connait l’histoire tragique de Lee. Pour interpréter ce personnage brisé qui laisse très peu transparaitre ses émotions, Casey Affleck était le choix idéal. Il est tout en retenue, déphasé et terriblement touchant lorsque le réalisateur lui autorise l’expression d’un chagrin. Casey Affleck porte le film et trouve son meilleur rôle mais il est accompagné d’un très bon Lucas Hedge, en adolescent pour qui tout semble couler sur lui. Le jeune homme a plusieurs copines, des tas d’amis, il semble impénétrable à tout ce qui lui arrive, comme pour donner le change à cet oncle qui revient dans sa vie tel un fantôme. Les scènes entre les deux acteurs sont d’une grande justesse, ne tombant jamais dans le mélo, le tire larme et conservant une distance qui force le respect et qui amplifie l’impact de cette histoire. C’est celle d’un garçon qui aimerait que son oncle reste, de cet homme qui n’arrive pas à oublier le passé ; c’est surtout l’histoire d’un impossible deuil, d’une vie brisée après laquelle rien ne pourra plus se dérouler normalement.

Le film dure 2h18 et pourtant il se déroule sans peine, par petites touches nouant scènes du passé heureux aux scènes du présent où il faut gérer le décès du frère et la prise en charge de son fils. Kenneth Lonergan prend ainsi le temps de nous faire découvrir pourquoi son personnage principal est si asocial, reclus sur lui-même et solitaire.

La mise en scène est d’une grande sobriété et vous aurez du mal à ne pas retenir vos larmes. Le personnage de Lee est comme mort, congelé comme le froid qui enneige tout le film. Son cœur rebat par petites touches et on doute qu’il ne s’éteigne à nouveau. Mais ne vous attentez pas à un film larmoyant, à un feel good movie, non  « Manchester by the sea » est un film très beau mais très triste tout en conservant une grande classe, celle de la pudeur des personnages. Le film est intense de bout en bout et montre la résilience sous un jour rare au cinéma. Un grand film.

 

N°2 – « Quand on a 17 ans » d’André Téchiné

Quand_on_a_17_ans

Le retour d’André Téchiné en aussi grande forme est réjouissant. Il signe avec « Quand on a 17 ans » son meilleur film depuis « Les témoins » sorti en 2007.

Le film s’intéresse aux rapports très conflictuels entre deux adolescents de 17 ans, qui vont évoluer tout au long de l’année scolaire et déboucher sur une histoire d’amour. Aux critiques qui demandent à Téchiné pourquoi il parle d’homosexualité encore une fois, il leur répond qu’ »on voit assez d’histoires hétéros comme çà ».

Mais surtout son film est une très belle histoire de découverte de son identité, plus réussie encore que « Les roseaux sauvages » sortis il y a 22 ans.

La scénariste Céline Sciamma, réalisatrice de Tomboy et Bande de filles, apporte une dimension supplémentaire aux thématiques habituelles de Téchiné. Elle décrit une adolescence d’aujourd’hui et c’est loin d’être évident d’en décrire les contours avec justesse. Téchiné montre ce qu’est une famille dans son quotidien, dans ses malheurs et ses petits bonheurs.  Les classes sociales n’existent pas et il met tout le monde au même niveau, chacun s’entraidant sans se poser de questions. Le film en ressort d’autant plus humain sans tomber dans un quelconque angélisme.

Et puis surtout, il ne se focalise pas que sur le couple de jeunes hommes et donne à son film une respiration via les autres personnages, ceux des parents notamment. En donnant le rôle d’une mère moderne et fantasque à Sandrine Kiberlain, le réalisateur a vu très juste. En effet, cette dernière est parfaite tant dans le comique que la tristesse profonde. Elle est prodigieuse.

Le film ancre l’histoire dans deux contextes familiaux radicalement opposés. L’un vient de la montagne et de la campagne et l’autre de la ville mais cette fracture qui aurait pu s’avérer caricaturale, est au contraire propice à de très beaux moments, illustrant certains comportements lorsqu’un ado se cherche et veut se couper du monde, rester dans le sien.

Et puis cette bienveillance pour ses personnages illumine le film.

« Quand on a 17 ans » est frappé de la grâce des grands films. La simplicité avec lequel il traite de désirs, de violence, d’appartenance, de la peur de l’inconnu quand on a 17 ans, est tout simplement touchante. On y voit deux êtres qui n’ont pas franchi le cap de l’indépendance et n’ont pas conscience de la vie d’adulte, pas encore. Ils ont peur mais sont surs d’eux, ils pourraient déplacer ces montagnes puisque la vie est devant eux. C’est bateau comme affirmation et pourtant dans le film c’est juste très beau, attendrissant même.

Mais ce romanesque n’aurait pu être aussi réussi sans ses deux interprètes, Kacey Mottet Klein et Corentin Fila qu’on retrouvera très probablement.

Ce film plein de vie donne le sourire car il est moderne, subtil, solaire, simple et juste. Merci Monsieur Téchiné. Ceci fait un bien fou.

 

N°1 – « Mademoiselle » de Park-Chan Wook

451429

Park-Chan Wook est l’un des trois grands maitres sud-coréens des quinze dernières années.

« Sympathy for Mr Vengeance », « Lady Vengeance », « Old Boy », « Thirst » et « Stoker » ont jalonné une filmographie sous le signe de la violence.

Avec « Mademoiselle« , il adapte Fingersmith de Sarah Waters, livre qui se déroulait à Londres en 1862 et qu’il transpose en Corée du Sud dans les années 30, en pleine invasion japonaise.

On y suit une jeune femme qui se voit proposer d’escroquer une jeune et riche héritière, quelques peu dérangée à force de vivre reclue dans la propriété familiale dirigée par son oncle tyrannique, également tuteur de cette dernière. Alliée à un escroc se faisant passer pour un comte japonnais, l’objectif est de manipuler la riche héritière et de la déposséder de sa fortune.

Et question manipulation, on peut dire que Park-Chan Wook nous livre un scénario et une mise en scène virtuoses comme il ne l’avait plus fait depuis Old Boy.

C’est tout simplement brillant et jubilatoire ! Les décors sont sublimes, les acteurs excellents, l’histoire perverse est truffée de faux semblants. La seule nouveauté, déjà entamée dans Stoker, est que Park est bien moins violent qu’auparavant. Les personnes réfractaires à ses accès furieux peuvent donc se rassurer, ici rien de tel. Park préfère substituer à cette violence de la simple cruauté.

Le réalisateur fait preuve d’une grande classe dans l’élégance de ses choix formels. Le sexe est très présent ainsi que la relation lesbienne entre les deux personnages féminins. Mais contrairement à « La vie d’Adèle » dont les scènes étaient crues et vulgaires, ici elles sont très sensuelles et donc très réussies.

Le diable se cache dans les détails et le maitre sait en jouer pour mieux nous surprendre et nous manipuler puisque le thème du film est justement la manipulation. On est complice du jeu des personnages et tellement absorbés par l’excellence de la mise en scène qu’on ne voit pas comment Park-Chan Wook pourrait lui même nous faire un tour dont il a le secret. Et pourtant, il nous frappe pile au bon moment et fait de ce « Mademoiselle » l’un de ses meilleurs longs métrages.

Ce thriller envoutant, esthétique, joueur et provocateur doit absolument être vu ! C’est probablement l’un des meilleurs films de l’année et peut être le meilleur.

 

Et le podium 2016 du Blanc Lapin

best 2016

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Laisser un commentaire