Les meilleurs films du Blanc Lapin N°10 à N°1
Après la première partie du classement (N°25 à 11), voici la suite et fin du classement du 10ème au meilleur long métrage du blanc lapin 2020.
N°10- « Eté 85″ de François Ozon
En 22 ans, François Ozon a signé 19 films dont 14 très réussis soit une production des plus rythmées jamais vues en France de la part d’un auteur de sa trempe. Ozon fait partie de ces hauteurs qui déplace le public sur son nom et c’est mérité.
« Eté 85 » rend donc hommage probablement en partie à sa jeunesse, il y a 35 ans alors qu’il avait 18 ans.
Après, la pudeur du cinéaste et son talent pour surprendre font de ce film bien autre chose qu’une idylle amoureuse d’été. Difficile de ne rien révéler et donc je serai très prudent.
« Eté 85 » compte sur un casting de deux jeunes qui vont faire parler d’eux, Félix Lefebvre, très convaincant et Benjamin Voisin, qui commence à devenir connu avec pas moins de quatre films sortis en 2020 (La dernière vie de Simon, Un vrai bonhomme et bientôt Comédie humaine d’après les Illusions perdues d’Honoré de Balzac). Leur alchimie à l’écran fonctionne à merveille. Valeria Bruni Tedeschi, Isabelle Nanty et Melvil Poupaud sont excellents.
Ozon nous conte la découverte amoureuse, la première passion avec tout ce qu’elle a de beau et de violent, de délicieux et de cruel. Il fait toucher du doigt à l’écran ces moments hors du temps et la chute qui suit quand l’un des deux se lasse et détruit le château de sable, à un moment forcément inattendu pour l’autre.
Le fait de saisir ces émotions si fugaces et de les retranscrire de la sorte tient à une somme de talents humbles et juste dans l’intimité des personnages.
Le film est efficace, sans aucune scène de trop, bercé par une bande originale eighties et vintage à souhait. Cet air d’été qui se poursuit dans une noirceur violente est construite avec finesse et beaucoup d’émotions romanesques.
Le rapport à la mort ou au professeur est aussi très présent comme une synthèse de thématiques traversant la dense filmographie du cinéaste. François Ozon nous montre un adolescent qui découvre la vie avec ce qu’il y a de plus surprenant, de plus glauque. Il explique de façon très simple l’idéalisation d’un être par un autre et le besoin parfois de se construire en creux par rapport à un idéal.
La mise en scène, brillante comme toujours et la direction d’acteurs font de ce film une belle réussite dans cette filmographie déjà riche.
La piste aux Lapins :
N°09- « Monos » de Alejandro Landes
« Monos » est l’une des grandes surprises de ce début d’année et la découverte d’un nouveau réalisateur brésilien, Alejandro Landes, sur lequel votre Blanc Lapin préféré mise beaucoup pour la suite de sa carrière.
Entre Sa Majesté des Mouches, « Aguirre, la colère de Dieu » d’Herzog ou Au Cœur des Ténèbres de Joseph Conrad, le réalisateur sud américain nous plonge dans un monde à la limite du fantastique. On est tout de suite happé par la beauté des paysages, de cette mère nature sauvage dans laquelle huit adolescents vivent avec pour mission de veiller sur une otage américaine au sommet des montagnes colombiennes. Ils s’entrainent pour la lutte prêt à prendre la relève de leurs ainés révolutionnaires, et vivent d’une façon militaire. Ils obéissent à un adulte qui de temps en temps vient les voir et filmer l’otage. Sauf que cet adulte est nain et très dûr, sans empathie, ce qui créé un décalage immédiat. Cette prison n’a pas de barreaux car la nature est plus forte qu’eux. Mais surtout on comprend très vite que ces enfants sont eux mêmes prisonniers de cet état de fait, de cette vie loin des intérêts qu’un adolescent peut avoir. On ne nous explique pas pourquoi et comment ils sont arrivés là, pourquoi ils ont été choisis ni quelle fut la durée de leur endoctrinement.
La violence de leurs rapports se fracasse au primitif de leur vie quotidienne, laissant s’échapper des pépites d’humanité, de joie, de désirs lorsque leur surveillance se relâche.
Mais leur absence de compassion pour leur otage renvoie également à l’absence de limites des enfants, pour qui les barrières morales et la remise en question de ce qu’on leur a inculqué passe par des chemins différents de ceux d’un adulte.
A ces images magnifiques qui alternent avec le danger, le questionnement sur ces personnages, Alejandro Landes ajoute un accompagnement musical excellent de Mica Levi, accentuant la rudesse ou l’effet des narcotiques.
Puis le réalisateur opère une rupture de paysage et de cadre au milieu du film, passant du froid des montagnes à la chaleur moite de la forêt tropicale. Il passe d’un enfer à un autre ou plutôt d’un endroit dangereux qui pourrait être paradisiaque à une nouvelle prison naturelle.
Le réalisateur filme ces corps meurtris et qui s’imposent une discipline atroce, avec un regard bienveillant mais suffisamment de distance pour ne jamais permettre au spectateur de tomber dans une empathie profonde pour ces enfants sauvages qui peuvent à tout moment exploser de violence.
Ce parti pris est souvent radical et ne cherche pas l’explicatif, ce qui donne au film un charme extraordinaire, hors du temps.
La puissance des évocations visuelles de ce thriller de survie en zone naturelle ultra dangereuse, confrontée aux protagonistes en apparence fragiles mais extrêmement durs et mentalement entrainés, donne à « Monos » un statut très particulier. C’est un film étrange qui ne cherche pas à donner du confort au spectateur de part la prévisibilité d’une histoire mais justement à le tenir en haleine tout en restant fasciné par son mixte de poésie et de mort.
Ce voyage nihiliste donne un résultat qui n’a pas de comparable évident et joue sur le sensoriel de façon magistrale. Un grand metteur en scène est né, de toute évidence.
La piste aux Lapins :
N°08- « Effacer l’historique » de Gustave Kervern et Benoît Delépine
Gustave Kervern et Benoît Delépine, les deux compères issus de Groland, ont réussi à construire une belle filmographie en 20 ans, depuis Aaltra. Que ce soient Louise-Michel, Mammuth, Le grand soir ou Saint Amour, tous ces films très réussis ont su parler de gens invisibles, déclassés, avec une grande tendresse et un humour ravageur et salvateur.
« Effacer l’historique » est clairement dans cette veine, avec ce même souci de ne pas être réaliste tout du long et d’insérer des scènes surréalistes bienvenues pour imager leur regard social sur un monde qui tourne bizarrement.
Ils s’attaquent à l’omniprésence d’internet, des réseaux sociaux, de l’horrible système de notation des uns et des autres. Sur une scène courte avec Benoit Poelvoorde, excellent, ils arrivent à dénoncer l’exploitation des livreurs à domicile et leurs conditions de vie mais aussi la responsabilité aveugle du consommateur. C’est bref et efficace comme toutes les scènes du film.
Blanche Gardin, Denis Podalydès et Corinne Masiero forment un trio très attachant de gens laissés en marge, qui se sont rencontrés sur un rond point au moment des gilets jaunes. Face à la déshumanisation du quotidien, à la marchandisation de tout, les trois sont largués pour des causes différentes. Alors ne vous attendez pas à une conquête burlesque des Gafa, la bande-annonce est trompeuse et cette partie est toute petite. Non, ici on les suit dans leur quotidien limite orwellien où ils tentent de comprendre et d’appliquer les règles de ce monde à peine caricaturé. Et c’est ce qui fait la force du rire dans le film. C’est drôle mais les réalisateurs-scénaristes n’ont pas à pousser beaucoup les situations, c’est très proche de la réalité !
L’engagement et la pertinence des scénettes qui s’enchainent laisse cependant place à une poésie pessimiste et encore une fois des personnages que les réalisateurs affectionnent. Cà se sent à l’écran. Blanche Gardin est excellente avec son phrasé et sa diction si particulière. Ceux qui ont vu ses excellents spectacles ne seront pas dépaysés.
Le fantasque et le loufoque anar font de ce « Effacer l’historique » un excellent cru pour notre duo de réalisateurs socio-comiques.
La piste aux Lapins :
N°07- « Dark Waters » de Todd Haynes
Il est très surprenant de voir le réalisateur de Loin du Paradis et Carole, habitué aux drames intimistes, s’attaquer à un sujet de société comme le scandale du téflon et de l’entreprise DuPont qui a empoisonné sciemment ses employés, les habitants des villes autour de ses usines et les millions de clients à travers le monde pendant 50 ans.
Il faut dire que Mark Ruffalo qui tient le premier rôle, a porté le projet à bout de bras comme co-producteur et on ne peut que saluer son combat de David contre Goliath tout autant que son jeu nuancé.
Il incarne donc, Robert Bilott, un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques, qui va prendre parti pour les petites gens victimes de cette impunité cynique d’une énorme industrie chimique usant de son poids économique, de son poids sur les emplois, de son impact politique.
Le combat semble perdu d’avance mais la ténacité de ce travailleur acharné va le balloter pendant 15 ans de combats. Certes le film n’est pas très cinégénique mais l’enquête est vraiment intéressante et bien menée.
Todd Haynes apporte toute la pudeur de ce drame humain et on comprend au fil du film pourquoi Mark Ruffalo l’a choisi. Le film est fin et militant tout à la fois car il parle de dignité face à une inconscience morale inconcevable.
La force tranquille et l’humilité de « Dark Waters » rend son visionnage nécessaire.
Un film écologiquement engagé mais mené à la façon d’un thriller vraiment intelligent.
La piste aux Lapins :
N°06- « The Gentlemen » de Guy Ritchie
Voici enfin le retour en grande forme de Guy Ritchie après deux blockbusters impersonnels qu’étaient La légende du Roi Arthur et Aladdin. Le réalisateur a été critiqué à ses débuts pour sa façon très clipesque de réaliser ses films. Issu du monde de la pub et du clip, il est vrai que « Crimes Arnaque et botanique » ou « Snatch« , sortis il y a 20 ans, avaient un côté épileptique qui pouvait déplaire à certains. Moi perso, j’adore et son passage par Sherlock Holmes était vraiment très réussi lui aussi. Disons que Guy Ritchie a créé son style, qui parfois agace et donne de mauvais films (Revolver, RocknRolla) et des fois c’est jouissif et du divertissement surexcité mais ultra efficace (cf films précités et Des Agents très spéciaux).
Avec The Gentlemen, il choisit de revenir au style de ses deux premiers opus avec le même cadre d’une histoire de gangsters et d’arnaque. Comme dans Snatch, les groupes de gangs sont nombreux, cinq en l’occurrence, ce qui permet au scénario de surprendre en permanence et d’empêcher de savoir où il va nous amener. L’ironie est corrosive et la salle éclate de rire à plusieurs moments car Ritchie n’en oublie pas son comique de situation souvent malin et ses personnages très bien écrits.
Pour se faire aider, son casting est juste hyper classe. Matthew McConaughey est royal en lion de la jungle qui veille sur son empire de la weed et cherche à éviter qu’un prédateur plus malin lui vole son trône. Un rôle écrit sur mesure pour lui et très classe qui lui permet de tordre le cou à la direction pas très bonne prise par sa carrière ses trois dernières années.
Charlie Hunnam a le 1er rôle à ses côtés et prouve que c’est un très bon acteur, cool. Après bien des efforts et des films pas forcément réussis au final, l’acteur accroche un bon film de plus à sa filmo après Crimson Peak et surtout The Lost City of Z.
Quant à Hugh Grant, c’est un réel plaisir de le voir de nouveau en haut de l’affiche dans un rôle de manipulateur, sombre et retord. Il est juste excellent.
Colin Farrell joue de nouveau un contre emploi délicieux comme il en a le secret et l’exigence.
Le film est malin et rythmé mais peut être moins dans l’épate et l’esbroufe qu’on pouvait reprocher à ses deux premiers films. Il est plus pausé même si le terme n’est pas adapté dans le rythme et le montage sont la marque de fabrique de Ritchie.
La virtuosité de l’ensemble donne la patate et le sourire tant l’histoire est jubilatoire.
La coolitude de ces ficelles de scénario font du bien. C’est certes un film sans prise de tête ni message. Mais ce type de récit à double fond, qui surfe sur un humour potache, parsemé de scènes d’actions en général comiques et de rebondissements en cascade, est le film idéal pour vous divertir intelligemment.
La piste aux lapins :
N°05- « L’histoire vraie du Gang Kelly » de Justin Kurzel
Le réalisateur des Crimes de Snowtown, Macbeth et le moins réussi Assassin’s Creed, revient avec ce faux western sur l’un des plus grands hors la lois qu’ait connu l’Australie, le billy the kid australien, Ned Kelly.
Le film sort hélas en dvd et streaming pour cause de pandémie bien que passé à Venise.
J’attendais beaucoup ce film et force est de constater que je n’ai pas été déçu.
Synopsis : En Australie, certains le considèrent comme un criminel, d’autres comme un héros révolutionnaire. Dans le bush, Ned Kelly est une figure historique. Il incarne le symbole de la lutte contre le gouvernement britannique à une époque perturbée où ce continent rude et sauvage gagnait peu à peu son indépendance. Découvrez l’épopée de Kelly et de son gang de bushrangers qui ont à la fois fait régner la terreur et allumé une lueur d’espoir chez ceux qui n’avaient rien.
Justin Kurzel livre un film punk aux sons parfois électriques et au découpage très particulier. Il choisit de montrer l’épure de ces paysages quasi désertiques ou la police britannique traite avec mépris les autochtones du 19ème siècle. Il joue beaucoup sur les couleurs tantôt froides avec une touche de couleur tantôt très chaudes pour illustrer l’environnement et le danger pour le personnage principal.
Surtout, le protagoniste est d’abord montré durant 45 minutes dans son enfance et dans ses traumas sans que ce soit lourd et démonstratif. Son père est à moitié fou et sa mère se prostitue et accepte de le vendre à un hors la loi, incarné brièvement par un Russell Crowe imposant et bicéphale dans sa personnalité.
La mère est quant à elle un personnage central que l’enfant adore et qui recherche un amour qu’elle ne peut pas donner, autocentrée qu’elle est sur elle-même et sa propre survie, faisant passer son intérêt avant celui de ses enfants.
Et puis surtout, elle l’incite à aller dans le mauvais chemin alors qu’on sent un enfant sensible et qui n’aime pas la violence. Charlie Hunnam incarne avec finesse ce policier à la fois protecteur et profiteur, manipulateur qui ne donne rien sans un retour sexuel de la mère. Il y a de quoi traumatiser le gamin, forcément.
Puis entre en scène George McKay dans le rôle de Ned Kelly adulte et ce dernier, de par son jeu et son visage si particulier, explose l’écran. Il est brillant de sensibilité et de violence voir d’accès de folies venues de son héritage génétique paternel. Le personnage n’est pas antipathique, au contraire, il est perdu et très seul au milieu de son gang. Kurzel nous l’a expliqué enfant et le suit dans sa fuite vers l’échafaud.
Le déterminisme nihiliste du film n’est pas triste, il est même plutôt beau à bien des reprises.
Nicholas Hoult joue un second rôle très important avec toujours le même talent. C’est même son meilleur rôle. Il joue un autre policier britannique, ambivalent et quelques peu sadique. A la fois dans l’empathie et la volonté de pactiser avec le gangster, de devenir son ami et à la fois à vouloir lui soutirer ce qu’il a de plus cher et lui négocier une liberté en forme de chantage. Le personnage est lui aussi pervers car on ne sait pas pourquoi il joue ainsi avec la mort, peut être aussi par dépit, parcequ’il tue le temps jusqu’à se mettre grandement en danger. Le personnage est vraiment super bien travaillé dans sa relation homo-érotique avec celui de Georges McKay (ie Ned Kelly) et l’alchimie prend comme une danse macabre fascinante.
Et puis il y a la grande scène finale qui calmera tout le monde de part son brio et son originalité.
Vraiment, « The True History of the Kelly Gang« , traduit « Le gang Kelly » est une totale réussite, un film étrange et différent de ce qui sort habituellement. L’ambition de Justin Kurzel, son équipe et de son excellent casting est récompensée par une des meilleures réussites de l’année.
La piste aux Lapins :
N°04- « SOUL » de Pete Docter
Le dernier film des studios Pixar sort exclusivement sur Disney Plus et pas au cinéma et c’est la première fois qu’un film Pixar est privé des salles obscures. C’est un coup dur pour le cinéma et c’est surtout fort dommageable tellement ce dernier opus est très réussi.
Alors que le studio à la lampe s’est perdu dans des suites consensuelles durant les années 2010, SOUL raisonne comme le rappel que lorsque les artistes du studio se mettent à créer un nouvel univers, parfois c’est juste génial. Si « En avant » était très pauvre scénaristiquement avec des personnages trop consensuels, SOUL fait évidemment penser à VICE VERSA du même Pete Docter. On y croise non plus des sentimets qui créént la personnalité mais carrément des âmes.
L’idée conceptuelle est excellente et le rendu graphique original par rapport aux créations précédentes. L’identité visuelle fonctionne à merveille et alterne avec le monde des humains.
Les deux personnages que sont la jeune âme perdue et l’âme du héro jazzman sont super bien croquées. L’humour est comme souvent très fin et parfois ravageur mais surtout le film touche à l’universel avec une profonder qu’on n’avait plus vue depuis Là-haut ou Wall-E.
SOUL est drôle et sur la fin très émouvant, en suivant des chemins non attendus et plus adultes que VICE VERSA. J’ai d’ailleurs préféré SOUL à son predescesseur, pour sa thématique plus profonde et pour ses personnages plus attachants.
Une vraie grande réussite.
La piste aux Lapins :
N°03 – « Drunk » de Thomas Vinterberg
Le réalisateur danois découvert avec son chef d’œuvre « Festen » en 1998, a connu une chute d’inspiration durant les années 2000 avant de revenir à un excellent niveau en 2010 avec le superbe « Submarino » qui parlait déjà d’alcool, puis il a enchainé avec les très réussis « La chasse » en 2012 où Mads Mikkelsen excellait dans le rôle d’un instituteur accusé à tard d’attouchement par une enfant, puis le très émouvant « Loin de la foule déchainée » en 2015, La communauté et Kursk.
Thomas Vinterberg construit une filmographie qui garde certains préceptes du dogme qu’il a créé avec Lars Von Trier, un certain réalisme voir naturalisme qui renforce certaines émotions lorsque les scènes prennent. Mais contrairement à son compatriote qui provoque visuellement et cherche souvent à choquer, Vinterberg opte pour des histoires autour de personnages très bien écrits, déchirés par la vie, souvent cassés même. Il apporte un regard à la fois non consensuel et qui cherche le débat. Si dans « La chasse« , Vinterberg interrogeait sur les excès de nos sociétés mettant au pilori sans preuves et n’hésitant pas à broyer un homme sans le laisser se défendre, avec « Drunk« , il s’intéresse à un sujet passionnant et très original car peu traité de la sorte à ma connaissance.
Le pitch est simple. Quatre amis professeurs dans le même collège et tous ayant passé largement a quarantaine, décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en espérant tous que leur vie n’en sera que meilleure ! Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.
Vinterberg n’aborde pas uniquement que le thème de l’alcoolisme. Non son thème principal est celui du vieillissement, du temps qui passe, des responsabilités familiales et des échecs ou espoirs déçus qui font que des hommes de 50 ans se retrouvent fatigués et avec peu d’entrain pour les années qui leurs restent. A ceci, il oppose et filme l’insouciance de la jeunesse qui boit beaucoup, au delà de l’excès et qui s’éclate. A aucun moment il ne fait l’apologie ou ne juge grâce à ce système d’expérimentation où les professeurs vont retrouver de la joie de vivre, vont se désinhiber et même retrouver des projets, être meilleurs au quotidien.
Mads Mikkelsen est immensément bon et les trois autres acteurs qui l’entourent sont bouleversants de justesse et d’humanité.
« Drunk » est souvent très drôle car les situations sont iconoclastes et l’alcool fait faire n’importe quoi parfois et permet de rire, entre amis. D’ailleurs il s’intéresse à son lien social, à cette amitié de ces quatre personnages qui se tiennent les coudes, qui s’aiment et se pansent leurs blessures pour repartir.
Mais vers où ?
Et c’est là que le film devient fascinant. Il montre les limites des paradis perdus et le choix ou pas de s’y enfoncer plutôt que de revenir à une réalité que l’on sait soit peu modifiable soit vouée à se terminer mal car la vie, çà finit forcément mal. Ce regard vraiment particulier sur le sens d’une vie au sein de ses proches, de sa famille, de ses relations fait de « Drunk » un très grand film incorrect.
Thomas Vinternerg nous fait rire l’essentiel du film et met aussi mal à l’aise avec un ton politiquement incorrect mais sans cacher la vérité, l’effet néfaste de l’alcool à haute dose, avec un dénuement total de moralisation et ceci fait un bien fou, dans un monde souvent tellement policé et tellement consensuel.
En refusant d’avoir un regard unique sur l’alcool et d’y appliquer une multiplicité liée à la diversité des individus, de leurs propres histoires, de leur propre maitrise et de leurs fragilités respectives, le réalisateur apporte une vision d’une grande intelligence avec une belle palette de nuances.
Il offre aussi un superbe film sur l’amitié comme moyen le plus fort de ne pas sombrer dans une société qui ne facilite pas l’épanouissement personnel.
Il ne juge pas la drogue mais porte un regard bienveillant sur ces gueules cassées de la vie et leur retour même fugace à l’insouciance, tout en étant conscients que le retour à la jeunesse n’aura pas lieu. C’est un message à la fois plein de nostalgie, de réalisme et de déterminisme. C’est juste excellent comme angle de vue.
La finesse et la transgressivité de « Drunk » restent d’ailleurs longtemps dans l’esprit après la projection.
Si cette année cinéma a été désertée d’une partie de ses films, la subtilité de « Drunk » en font l’un des meilleurs. D’ailleurs le film va probablement faire partie des sorties de fin d’année qui vont sauver le cru 2020 et le rendre pas si vide que cela.
La piste aux Lapins :
N°02- « Mank » de David Fincher
Six longues années après Gone Girl, après avoir livré trois séries pour Netflix dont House of Cards et Mindhunter, le réalisateur David Fincher est de retour, considéré aujourd’hui à juste titre comme un maitre et l’un des meilleurs cinéastes au monde. Alien 3, Seven, The Game, Fight Club, Panic Room, Zodiac, L’étrange histoire de Benjamin Button, The Social Network, Millenium et Gone Girl...que des films réussis et cinq chefs d’œuvres.
Il est trop tôt pour appliquer un tel qualificatif au nouvel opus de Fincher mais une chose est sûre, le réalisateur livre son film le plus personnel, le moins grand public et le plus libre. Son idylle avec Netflix se poursuit puisque la plateforme lui a permis de réaliser ce projet dans les cartons depuis 1996 et dont son propre père, journaliste, était scénariste. La première tentative échouât début des années 2000 et son père mourut en 2003.
Évidement, le film est fait avec cet hommage à tous les scénaristes du monde et s’avère une superbe reconstitution de l’univers du Hollywood des années 30. En choisissant de raconter l’envers du décors de Citzen Kane, considéré comme LE chef d’œuvre du cinéma, David Fincher veut parler avec une grande modestie des équipes qui entourent un metteure en scène. Car même culte, Orson Welles n’apparait pas sous un jour hyper flatteur, ce dernier avait quand même en tête de s’arroger l’écriture du scénario par son scénariste, Herman J. Mankiewicz, frère du réalisateur Joseph L Mankiewicz (L’Aventure de madame Muir, Ève, L’Affaire Cicéron, La Comtesse aux pieds nus, Soudain l’été dernier, Cléopâtre, Le Limier).
Herman, surnommé Mank, est un alcoolique notoire, rebelle et revêche mais libre. Malgré ses idées ouvertes et progressistes, ce dernier est devenu l’amuseur d’un grand magnat de la presse via le créateur actionnaire de la Métro Goldwyn Meyer. Et alors qu’Orson Welles lui donne deux petits mois pour boucler le scénario d’un film sur lequel il ne lui a donné que très peu de lignes directrices, Mank choisit de s’inspirer fortement de ce magnat, incarné par l’excellent Charles Dance (Tywin Lannister dans Games of Thrones).
Mank va donc raconter cette inspiration créatrice entre retraite bloqué au lit et flashs backs dans cet Hollywood des années 30 que le scénariste critique pour son hypocrisie et parcequ’il a l’occasion en or de traiter d’un personnage hors norme. Il va pouvoir parler de pouvoir, d’un individu aux idéaux qui se sont dilués dans la réussite et qui a vendu ses rêves pour de la puissance.
L’histoire du film est donc déjà passionnante car méconnue et c’est un vrai plaisir même pour des non cinéphiles que de voir ce qui a amené à un tel chef d’œuvre .
Ensuite David Fincher, en maniériste obsessionnel qui rend fou ses acteurs à les faire rejouer 50, 70, 100 prises, va livrer un objet filmique vraiment fascinant. Son noir et blanc est superbe et même le son est retravaillé pour nous faire penser aux films des ces années là.
Évidemment le film a une bien meilleure qualité sonore et d’image mais vous avez le sentiment d’être immergés dans ce cinéma là.
Évidemment Gary Oldman est juste excellent et cours droit vers un second Oscar, qui est amplement mérité. Sa prestation est fluide, contrastée, ironique, enlevée. Il est parfait dans le rôle de ce trublion d’un grand esprit mais d’une incapacité totale à se rabaisser devant le pouvoir.
Forcément, ce personnage est éminemment attachant tant il est cabot et juste à la fois.
Le rythme du film est tambour battant et empêche le spectateur de décrocher une seule seconde.
Le travail admirable de David Fincher comme directeur d’acteurs et virtuose de la mise en scène éclate avec évidence au grand jour mais hélas pas sur un grand écran. Et pour le coup, je suis certain que la diffusion en dehors d’une salle fait perdre une partie de l’impact au film…c’est dire !
La piste aux Lapins :
N°01- ex aequo – « La Communion » de Jan Komasa
Excellent premier film, « La communion » permet à Jan Komasa, 38 ans, de se faire un nom avec un film magistralement mis en scène, d’une singularité surprenante.
L’histoire est celle de Daniel, 20 ans, qui vit en centre de détention et ne peut pas suivre les études de séminariste malgré sa foi, les crimes qu’il a commis l’en empêchant. Alors que le centre l’envoie en réinsertion dans un village pour travailler dans la menuiserie locale, un concours de circonstances l’amène à se faire passer pour un prêtre. Sauf qu’il va y prendre goût et s’y révéler …
« La communion » est un film curieux car rien ne laisse présager le déroulé de l’histoire ni sa fin marquante. Le réalisateur a trouvé un personnage fascinant et use du regard de son acteur principal, Bartosz Bielenia, qui découvre le monde et les possibilités qui lui sont offertes avec des yeux grands ouverts. L’acteur est tout bonnement excellent, incarné jusqu’au bout des ongles.
La bienveillance du personnage et sa volonté de bien faire, de se racheter et de trouver une rédemption pour soit et pour les autres est particulièrement réussie et emporte l’adhésion du spectateur par l’humanité qui s’en dégage. Le personnage est à la fois naïf et sauvage, provocateur et bienveillant.
Jan Komasa dresse le portrait de ce faux prêtre idéal qui se démarque de l’hypocrisie morale de dogmes souvent non respectés par les croyants. La jeunesse et la crédulité de Daniel sont sa force. Son enthousiasme comme sa douleur pour son prochain touchent juste. Les personnages secondaires sont tous très bien décrits, sans écriture rapide, avec ce poids d’un petit milieu clos frappé par un drame atroce et qui préfère trouver et exclure une coupable que d’appliquer les préceptes de l’église.
« La communion » est un film sur le choix, la rédemption mais aussi sur le pardon et le sens qu’on lui donne. A ces thématiques déjà denses, le réalisateur ajoute celle du déterminisme social, des fers qu’on met au pied de certains individus.
La grâce du film, de ses choix scénaristiques, du jeu des acteurs, est une excellente nouvelle pour le cinéma polonais.
La tension qui se dégage du film est à la hauteur de ses ambitions, un grand premier film.
La piste aux Lapins :
N°01- ex aequo - « Adieu les cons » d’Albert Dupontel
Albert Dupontel en tant qu’acteur réalisateur, c’est une aventure que les cinéphiles partagent avec cet amoureux fou de cinéma depuis Bernie en 1996. Au début ses films étaient un peu trop fous, partaient dans tous les sens, parfois avec maladresse mais un humour corrosif avec succès public (Bernie) ou sans (Le créateur). Les années 2000 virent Enfermés dehors et Le Vilain caricaturer son humour mais lui permettre de perfectionner sa mise en scène en faisant des erreurs de longueurs, de frénésie.
Puis il connut un succès populaire avec une comédie vraiment hilarante grâce à « 9 mois ferme« , où Dupontel alliait virtuosité visuelle et gags comiques de situation avec ses dialogues percutants et un duo d’acteurs (lui et Sandrine Kiberlain) entouré de sa famille de gueules de cinéma. Puis en 2017, son adaptation du succès littéraire « Au revoir là-haut » fut primée et eut beaucoup de succès à juste titre. Il ajoutait une dimension émotionnelle qu’il cachait auparavant derrière son style punk qui limitait quelques peu son talent.
Non que l’irrévérence de Dupontel et sa seine colère soient un problème, bien au contraire. C’est juste qu’il manquait quelque chose d’indéfinissable. Que peut-être en adaptant un autre, il trouvait le ton de l’émotion mais que ceci sonnait un peu bizarre avec son style. Je me suis souvent dit en sortant d’un Dupontel que j’adorais le personnage, dans ses interviews (regardez son interview récente passionnante sur Thinkerview), ce qu’il véhicule, que j’adorais son talent, son humour cynique et semi dépressif, sa mise en scène.
C’est un type bien, autodidacte très cultivé, ultra référencé, qui cite en permanence les autres par une humilité maladive. J’espérais qu’un jour, cet ami de Terry Gilliam lui rende hommage tout en assumant son style Tex Avery et en trouvant de l’émotion et un ton juste. « Adieu les cons« , c’est tout cela à la fois, avec des citations visuelles évidentes à Terry Gilliam en plus du caméo…mais c’est bien plus encore.
Quelle claque ! Albert Dupontel nous parle de paumés, comme souvent, et même il incarne un paumé qui a plutôt réussi mais s’est enfermé dans la réussite sociale telle que la dénonce Ken Loach (dont il connait toute la filmographie évidemment). Il s’attaque comme ses copains Gustave de Kernvern et Benoit Delépine à la déconnexion du réel qu’entraine l’ultra surveillance, les smartphones, les réseaux sociaux, les gafa avec une forme de désespoir plus que de lutte mais avec beaucoup d’humour car il est poli…forcément. « Effacer l’historique » était l’un des meilleurs films du duo issu du Grosland, sorti en septembre dernier et « Adieu les cons » est le meilleur film de Dupontel.
C’est son plus abouti, son plus percutant. Le film est court, 1h27, et cela suffit amplement. Pas une scène n’est superflue. Le burlesque est roi grâce à des trouvailles visuelles iconoclastes qui illustrent le propos social sans le rendre lourd. Son fidèle Nicolas Marié apporte lui aussi de nombreuses scènes comiques absurdes et vraiment drôles. Et puis Dupontel ose le romanesque et assume le risque casse gueule de sonner faux, d’être lourd. Sauf que « Adieu les cons » ne dérape jamais et reste sur le fil tout du long entre tragédie et humour, émotion et explosion comique. Cette émotion se transforme alors en message bouleversant d’une grande maturité qui vous emporte sur un final magistral.
« Adieu les cons« est son film le plus équilibré, nourri de son expérience de ses autres longs métrages et de sa grande tendresse pour ses personnages. La bienveillance et le regard lucide et intelligent d’Albert Dupontel sur le monde qui l’entoure font qu’il vient de signer un très grand film. J’en suis ravi pour cette année cinéma 2020 qui finalement ne sera pas si désertée que cela. J’en suis surtout ravi pour lui et pour les cinéphiles auxquels il offre un si beau résultat. Merci Monsieur Dupontel.
La piste aux Lapins :
Bonjour,
Merci pour l’envoi de tes critiques cinématographiques tout au long de l’année.
81 films vus en 2020, un exploit…
Pour ma part, je vois en moyenne (au cinéma) environ 40 films par an (y compris des films anciens). Pas cette année : j’ai vu très peu de films pour cause de fermetures de salles (sachant que je ne vois jamais de films à la télévision : au bout de dix minutes, je décroche).
Un regret : tu n’es pas allé voir le film espagnol « Eva en août » (sauf erreur, tu ne l’as pas commenté… en août 2020), donc il ne pouvait pas figurer ni dans les meilleurs ni dans les plus mauvais films.
Un voeu pour 2021 : que tu continues à nous envoyer tes commentaires et que les salles puissent ouvrir.
Bonne fin d’année !
Jean-Louis (un ami de Clément)