Les meilleurs films 2018 du Blanc Lapin – Partie 2 – N°14 à 01
27 décembre, 2018Et voici la suite et fin des meilleurs films du Blanc Lapin 2018 !
Vous pouvez retrouver la partie du classement de 30 à 15 ici.
N°14 – « Roma » d’Alfonso Cuarón
Voici donc le film qui va tout bouleverser dans l’industrie du cinéma. Et c’est marrant parcequ’il n’a rien du gros blockbuster. C’est juste que « Roma » d’Alfonso Cuarón a remporté le Lion d’Or au dernier festival de Venise, et qu’il ne sort que sur Netflix ! Et çà, c’est une révolution.
Une révolution car les plus grands cinéastes viennent sur Netflix, le prochain étant Martin Scorsese avec De Niro, Al Pacino et Joe Pesci.
Alfonso Cuarón est un grand réalisateur et il a accepté de travailler pour Netflix car c’est uniquement là qu’il y a trouvé le budget.
Sa fresque est en effet loin de pouvoir remplir des salles obscures, d’une part parce qu’elle est en noire et blanc, qu’elle dure 2h15 et d’autre part parcequ’elle n’a aucune star à son casting. Son thème est aussi pas franchement vendeur puisqu’on y suit la vie quotidienne d’une femme de maison du début des années 70, dans une famille bourgeoise à Mexico.
Le noir et blanc du film est absolument magnifique, d’une grande pureté. La mise en scène est fluide, à travers de longs plans séquence.
Mais là où Cuaron fait très fort, c’est qu’il adopte le point de vue de cette femme dans la servitude grâce à son choix de mise en scène.
L’héroïne est quasi silencieuse, on la voit peu s’exprimer car dans son métier, on lui demande de se taire et de faire les choses, rapidement, efficacement. Sa relation avec les enfants de la famille est tendre et presque plus proche que celle qu’ils ont avec leur mère. D’ailleurs la famille lui laisse regarder la télévision avec eux mais pas trop longtemps quand même. Le rappel des ordres pour faire telle ou telle chose ménagère lui rappelle aussi son statut social, au cas où elle l’oublierait.
Cette’ violence sociale, qui se mélange dans certaines scènes à la violence dans les rues, est très bien rendue, avec force. Cette violence on la retrouve dans les rapports qu’elle a avec ses patrons qui la couvent et payent son accouchement mais qui la traitent aussi pour ce qu’elle est, une employée sans un sou.
Et quoi de plus efficace que de filmer cette famille sans créer une histoire très construite, juste suivre le quotidien, et les petits élèvement qui le changent au fur et à mesure. Un mari volage qui s’enfuit, une nouvelle voiture, plus petite car l’argent vient à manquer dans la famille, un drame évité…Alfonso Cuaron, fait preuve d’une très grande finesse par ce regard extérieur. Nous sommes comme l’héroïne, des spectateurs de cette vie, auxquels on interdit de devenir des intervenants à part entière.
Ce grand film intimiste est une grande réussite.
La piste aux Lapins :
N°13 – « High Life » de Claire Denis
Des criminels condamnés à mort sont envoyés dans l’espace pour devenir les cobayes d’une mission spatiale, en dehors du système solaire.
Je ne comprend pas du tout pourquoi le nouveau film de Claire Denis a été taxé de gênant ou de violent. Rien de tel, allez y sans crainte et allez y car elle nous fait du cinéma qui lorgne vers le Solaris de Tarkowski, tout en étant plus accessible et non moins très réussi.
Comme dans tout bon film de SF, Claire Denis interroge les limites de notre humanité en s’intéressant au huis clos bien évidemment mais aussi aux traumas de ces criminels et plus particulièrement de deux d’entre eux joués de façon excellente par Juliette Binoche et l’étonnant Robert Pattinson, qui ne cesse de nous surprendre par l’éclectisme et l’intelligence de ses choix de carrière.
Pattinson casse à nouveau son image en jouant ce quasi moine qui prend sa mission comme une rédemption morale à son crime tandis que Binoche veut redonner la vie et trouver un sens à sa vie en créant la vie. Elle parait comme un mixte de sorcière, de commandant et de scientifique, dans un rôle sur mesure qui lui colle à merveille.
Claire Denis commence par nous plonger dans la solitude du personnage avant de procéder par flashs backs et de mélanger les époques avec une très grande fluidité. Ce puzzle mental se construit alors devant nous avec brio, questionnant ce que nous ferions dans une telle situation, dans un tel voyage sans retour. L’esthétique claustrophobe du long métrage est une très très grande réussite, d’autant plus que l’on pense avoir tout vu du film se passant dans l’espace.
Le message du film est d’ailleurs certes triste et sombre mais donne du sens et se conclue en beauté.
La piste aux Lapins :
N°12 – « Mandy » de Panos Cosmatos
Nicolas Cage est un acteur génial mais depuis 15 ans il tourne souvent dans des merdes. Il le dit lui même, ce n’est pas qu’il le fait exprès et il prend très au sérieux ses rôles, c’est juste qu’il se plante dans ses choix et que les rôles qu’on lui propose ne sont pas géniaux. Il est un peu has been là où il était une méga star dans les années 90, moqué aujourd’hui pour ses coupes de cheveux improbables. Mais de temps en temps il revient comme dans l’excellent « Joe » de David Gordon Green en 2014 ou le remake très réussi de Bad Lieutenant en 2009.
Avec « Mandy« , nul doute qu’il joue dans un Ovni qui a doute pour devenir un film culte.
Panos Cosmatos choisit d’ultra référencer ce film qui pourrait être une simple série Z si il n’y insufflait pas des idées de génie. Avec sa colorimétrie rouge sang et ses effets visuels seventies à mort, le réalisateur joue des effets du LSD pour instaurer un climax hyper particulier. On suit en effet un homme des bois bien viril joué par Cage dont l’épouse fragile, au visage ultra particulier, se fait enlever par une secte. Cette secte va tuer la pauvre jeune femme devant lui et déclencher sa furie et sa vengeance façon Charles Branson.
C’est super bourrin mais c’est soit très drôle dans l’excès soit vraiment original. La réplique culte du film est évidemment « putain, t’as niqué mon T-shirt! » qui, sortie de son contexte peut faire peur mais moi m’a fait hurler de rire. Non vraiment, Mandy est excellent fil de genre, culotté, irrévérencieux, avec un Nicolas Cage en roue libre qui déploie sa rage. C’est un film à ne surtout pas manquer et à regarder loin des enfants.
Par contre vous pouvez détester le film. Mais ceux qui aimeront vont adorer.
La piste aux Lapins :
N°11 – « Mission impossible Fallout » de Christopher McQuarrie
Tom Cruise a réussi l’exploit de créer une franchise sur son nom qui dure depuis 22 ans et qui lui a sauvé sa carrière à plusieurs reprises soit une mission pas facile à relever à Hollywood. A chaque fois que Tom a senti le box-office lui échapper sur ses projets, il est revenu à sa copie cachée de James Bond et çà a cartonné.
La recette était au début de prendre de grands noms comme réalisateurs, Brian de Palma, John Woo, JJ Abrams, et Brad Bird.
Ceci fonctionnait, efficacement, livrant des spectacles vraiment divertissants, au dessus du panier. Et puis il y a deux ans il confie les reines à Christopher McQuarrie, qui l’avait dirigé sur Jack Reacher et qui avait écrit les scénari de Valkyrie, Mission: Impossible: Ghost Protocol, et Edge of Tomorrow.
Ce pari fut réussi au-delà des espérances avec « Mission impossible Rogue Nation » qui reçut à très juste titre des critiques dithyrambiques et un box office au-dessus des attentes, relançant la franchise. Rares d’ailleurs sont les séries de plus de cinq films qui durent sur aussi longtemps, avec une récurrence qualitative et un casting stable.
Et bien non seulement Christopher McQuarrie remet le couvert avec la même efficacité redoutable mais il enfonce le clou. Son idée géniale était de coller enfin vraiment à la série dont les films sont adaptés, en créant une famille, une équipe d’espions autour d’Ethan Hunt. Certes, les cascades (faites par Cruise himself) et effets spéciaux donnent lieu à des scènes irréalistes mais on s’en fout totalement car c’est le concept. D’ailleurs, le film s’en amuse et le public en rigole dans la salle.
L’idée donc de la team, s’appuie sur le retour de la révélation du précédant opus, Rebecca Ferguson, toujours aussi énigmatique, de Simon Pegg, présent depuis le 3ème opus (4ème film donc), caution comique et Ving Rhames depuis le 1er il y a 22 ans. Et ceci donne comme dans le précédent une dimension qui n’existait pas auparavant. Hunt en devient humain, contrairement à James Bond, car il a des racines, des amis qui passent avant des milliers de morts. Le scénario est écrit au cordeau, ne laissant que très peu de respiration. Enfin, le Némésis qu’a su trouver Christopher McQuarrie lors du précédent film, revient ! Et un bon film de divertissement a de fortes chances d’être plus réussi avec un bon méchant qui a du charisme. Sean Harris est parfait une fois de plus dans le job. Même sans parler il fait flipper. Quant à Henry Cavill, il incarne un nouveau personnage qui certes ne surprend pas, mais qui envoie une sacrée dose de testostérone face au mâle dominant qu’incarne Tom Cruise. Et c’est là aussi une superbe idée que de lui coller un petit jeune.
Bref, vous l’aurez compris, « Mission impossible Fallout » est LE blockbuster de l’été qu’il faut courir voir, même si vous avez loupé le précédent. C’est jouissif car c’est super bien huilé, brillamment mis en scène et très très au-dessus d’un Bond classique.
La piste aux Lapins :
N°10 – « Les Bonnes manières » de Juliana Rojas et Marco Dutra
Voici un film brésilien pour le moins original puisqu’il mixte le mythe du loup garou avec la satire sociale d’un premier degré désarmant de sincérité et d’efficacité.
Clara est infirmière solitaire à São Paulo. Elle arrive à se faire engager comme bonne à tout faire et future nourrice d’une jeune femme riche, enceinte mais terriblement seule, pour une raison inconnue.
Malgré l’arrogance de l’employeuse, les deux femmes vont se rapprocher jusqu’à ce que des évènements surnaturels ne viennent troubler le déroulement de la grossesse.
« Les Bonnes manières » est une excellente surprise. Dès le début on sent que quelquechose cloche malgré l’utilisation par les réalisateurs de couleurs chatoyantes, à l’image des dessins animés de Walt Disney auquel le film fait référence. Car le film se passe bien dans le réel mais détourne les codes du conte avec un esprit très habile.
Avant de verser dans le fantastique, le film va passer par un autre genre, celui de la critique d’une société coupée en deux, où les gens qui travaillent pour les plus aisés ne font que passer dans un décors lumineux là où leur vie quotidienne se passe dans une autre ville, beaucoup moins glamour. Les préjugés de la classe haute sur les bonnes manières à adopter en société, sont aussi passées à la moulinette de leur propre hypocrisie. Mais le traitement n’est jamais lourd. C’est un mélange de thèmes entre l’analyse du mépris social, le film gentiment gore, la confrontation psychologique, la force de l’instinct d’une mère, même adoptive…tous ces sujets sont hybridés et mixés ensemble avec une fluidité déconcertante.
Arriver à faire un film d’auteur versant dans le fantastique, qui sache rester très grand public, n’est pas une première mais ce film est d’une grande fraicheur. Son autre force est de rester à l’équilibre, maintenant un suspens constant et subtil.
« Les Bonnes manières » est scandaleusement mal distribué alors qu’il aurait mérité une mise en lumière à la hauteur de son audace.
La piste aux Lapins :
N° 9 – « En Liberté ! » de Pierre Salvadori
Le pitch : Yvonne jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n’était pas le flic courageux et intègre qu’elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d’Antoine injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années. Une rencontre inattendue et folle qui va dynamiter leurs vies à tous les deux.
Le réalisateur de « Cible émouvante » avec Jean Rochefort, Guillaume Depardieu et Marie Trintignant ou de « Les Apprentis » avec toujours le fils Depardieu et Cluzet, revient au meilleur de sa forme.
Il faut dire que l’animal s’est constitué une filmographie bien sympathique axée sur la comédie certes mais avec toujours une touche de délicatesse et de fragilité dans ses personnages souvent paumés et à la marge.
Ici il va utiliser un scénario qui n’aura de cesse de surprendre non par ses situations mais par la réaction de ses personnages. L’attendu, le fait que les héros se tombent dans les bras, ce n’est pas sa tasse de thé.
L’idée géniale de Salvadori est son casting avec un Pio Marmai excellent de loufoquerie, une Adèle Haenel vraiment désopilante de naturel revenue de tout et un Damien Bonnard hyper attendrissant. Quant à Audrey Tautou, Salvadori lui donne à nouveau un rôle excellent, un rôle de son âge, la petite quarantaine, frêle et émouvante, un rôle très bien écrit. Ce quatuor est très attachant.
Pierre Salvadori choisit donc de mixer des scènes perchées, parfois à hurler de rire et parfois juste émouvantes et donne à la comédie française un lustre qui trop souvent est délavé sur l’autel de l’industrialisation du film comique financé par ses têtes d’affiche « populaires » et qui font honte au cinéma hexagonal. Ici les répliques sont travaillées, le burlesque arrive à point nommé.
De l’ensemble du film se dégage un style, une certaine notion de la classe, à savoir une grande modestie dans la mise en scène alliée à une sincérité et un amour des personnages qui crève l’écran.
Mine de rien, Pierre Salvadori va bien au delà de la comédie puisqu’il parle des faux-semblants, des images toutes faites que l’on se fait de la réussite dans la vie. C’est qu’il adore les losers magnifiques et leur donne de très belles lettres de noblesse. Salvadori apporte surtout ce qui manque cruellement à nombre de comédie françaises, un peu de poésie !
C’est qu’il faut être sacrément doué pour livrer une comédie « différente », sans baisse de régime, avec une profondeur de la thématique et des acteurs tous à leur place. C’est l’un des exercices de cinéma les plus difficiles. C’est pour celà que « En liberté ! » est LA comédie à voir cette année.
La piste aux Lapins :
N°8 – « Spider-Man : New Generation » de Bob Persichetti, Peter Ramsey, Rodney Rothman
Quelle excellente surprise que ce dessin animé survitaminé et intelligent qui renouvelle la thématique de Spider-Man avec grande classe.
Depuis les films de Sam Raimi, Sony nous a infligé deux affreux reboots particulièrement ratés et sans saveur pour au final rebooter de nouveau son super héros par la case Disney en s’associant à la firme aux grandes oreilles et en lui permettant d’utiliser le personnage dans plusieurs de ses films Marvel dont les Avengers.
Et au final c’est en revenant à l’essence du comic, le dessin et à sa multiplicité, que Sony vient de signer un énorme coup de force. Le film est un tel succès critique et public que plusieurs suites seront lancées. Le film Venom qui était une bouse mais a cartonné va compléter ce multiverse Spider-Man autour duquel Sony va préparer le retour de son héros rouge.
Mais revenons au succès indéniable de ce « Spider-Man : New Generation« .
Sony choisit déjà de raconter une des histoires de Spider-Man qui a cartonné en comics mais n’a jamais été adaptée, celle de Miles Morales, un adolescent afro-américain qui se fait piquer par le même type d’araignée que celle qui a piqué Peter Parker, le vrai et originel Spider-Man.
Et c’est une idée géniale car le super-héros qui a connu six adaptations en 20 ans, voit sa meilleure se dévoiler devant nous. Le film est bien entendu très qualitatif au niveau de l’animation mais il mêle surtout diverses animations différentes, du style Pixar 3D de la plupart des dessins animés du moment au dessin animé en 2D classique, référencé pages de comics en passant par le manga et ceci dans un même plan. Ceci donne au film un hommage au pop art absolument sidérant. En multipliant les spider-man et en utilisant un arc narratif bien connu des comics, les jeunes réalisateurs insufflent une fraicheur inattendue.
Le film est très drôle, bourré de clins d’œils et de références jusqu’à la série Tv des années 70.
Le film est une explosion d’inventivité, de trouvailles graphiques, irrévérencieuses mais toutes au service d’une histoire qui se tient.
Les réalisateurs sont de vrais fans et sont généreux et çà explose à la figure. Ils mêlent les bulles de BD et la tradition à une esthétique acidulée. Leurs choix totalement hybrides et psychédéliques font de ce « Spider-Man : New Generation » le meilleur Spider Man jamais réalisé.
La piste aux Lapins :
N°7 – « 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance » de Martin McDonagh
Il y a déjà 10 ans, Martin McDonagh surprenait tout le monde avec l’excellent « Bons baisers de Bruges« , comédie noire particulièrement enlevée et drôle. Son second essai, « Seven Psychopathes » avait en revanche grandement déçu. C’est donc avec plaisir que l’on retrouve son talent avec cette histoire pour le moins originale.
La géniale Frances McDormand, épouse de Joel Coen depuis 34 ans (oui oui les frères Coen) tient la tête d’affiche et pourrait décrocher un Oscar après celui obtenu pour Fargo il y a 21 ans. On peut citer dans sa filmographie « Sang pour sang« , « Mississippi Burning« , « Hidden Agenda » de Ken Loach, « Short cuts » de Robert Altman, « Presque Célèbre« , « The Barber« , ou « Moonrise Kingdom » de Wes Anderson. Autant le dire tout de suite, elle mérite son deuxième Oscar.
Après des mois sans succès sur l’enquête sur la mort de sa fille, Mildred Hayes décide d’afficher un message dénonçant l’inaction du chef de la police sur trois grands panneaux à l’entrée de leur ville.
Si le film fonctionne très bien, c’est qu’il alterne des scènes intimistes profondément douces et réalistes avec de la pure comédie jubilatoire portée par des situations et des dialogues ciselés.
Car tant pour cette mère détruite, son fils joué par l’excellent Lucas Hedges (Manchester by the Sea) que le shériff en fin de vie porté par un Woody Harrelson au top, nombre de scène font preuve de pudeur et visent très juste sur le recul qu’ont les personnages par rapport à leur vie passée, ce qu’ils ont vécu avec joie et la finitude de cette période. Martin McDonagh déclenche des éclats de rire dans la salle par l’absurdité des situations dont le mari de Francs McDormand et son frangin auraient pu en faire le sel d’une de leurs comédies.
Et c’est très drôle. Un personnage aide à déclencher ce rire, le génial flic raciste et débile joué par Sam Rockwell, excellent. Son personnage évolue d’ailleurs étrangement, ce qui donne au film une dimension particulière et un regard bienveillant sur cette Amérique paumée qui a voté Trump par ignorance et qui ne sait pas trop où elle en est.
Le casting du film est l’un des meilleurs de l’année réunissant aussi Peter Dinklage (Thyrion de Games of Thrones), ou Caleb Landry Jones.
Mais le film a aussi une profondeur, un sous-texte sur la vengeance, la justice personnelle et la capacité à pardonner l’autre alors que l’Amérique d’aujourd’hui est dirigée par un type vulgaire, violent et raciste. Le film ne donne pas de leçons balourdes, il est juste dans la générosité. Les personnages sont profondément attachants et émouvants tout en nous faisant marrer par leurs répliques assassines ou leurs comportements farfelus.
« 3 Billboards » est drôle, corrosif, audacieux et surprenant. Courrez y !
La piste aux lapins :
N°6 – « Wonder Wheel » de Woody Allen
Décidément, lorsque le maitre New-Yorkais remonte le temps, ceci lui sied à merveille. Après son très bon « Café Society » il y a deux ans, Woody décide de planter son décors à Coney Island, dans les années 50 et il le fait de façon théâtrale. Car oui, « Wonder Wheel » est un hommage au théâtre des plus brillants. Il suit Giny, cette femme serveuse à la vocation d’actrice ratée par un mauvais choix de vie, qui se retrouve vivre avec un homme ex alcoolique qu’elle n’aime pas, en plein milieu d’une fête foraine perpétuelle qui lui donne des mots de tête. Elle est malheureuse et sans perspective.
Là, Giny, malgré son caractère de star déchue lunatique qui voit tout en noir, rencontre un bel homme, écrivain en devenir, poète, interprété par un Justin Timberlake au cordeau. Sauf que leur passion va se trouver vite contrariée par la fille de l’époux trompé, pulpeuse blonde à la vie bien plus trépidante que sa belle-mère quarantenaire, poursuivie par la mafia soit un enjeu bien plus romantique pour le jeune homme. Au milieu de ce drame, Allen n’oublie jamais son humour incongru avec notamment ce gamin, ce fils indéfectiblement pyromane.
Kate Winslet, qui interprète cette Giny tantôt insupportable tantôt pathétique, nous prouve encore une fois qu’elle est l’une des plus grandes actrices de sa génération, convoquant la Vivien Leigh de « Un tramway nommé désir » dans un hommage à peine voilé. Et voir surgir l’immense Tennessee Williams chez Woody Allen, c’est plus surprenant que d’y voir cité et référencé Tchekhov, son autre source d’inspiration de « Wonder Wheel ».
Kate Winslet est juste prodigieuse et magistrale dans cette perdition d’une femme qui a cru être sauvée et se voit de nouveau happée par les fantômes de ses échecs.
Le hasard et le destin sont particulièrement cruels dans cet opus de Woody Allen mais le film est au final l’un des meilleurs de ses dernières années. Un excellent cru.
La piste aux Lapins :
N°5 – « La forme de l’eau » de Guillermo Del Toro
Guillermo Del Toro fait partie de ces réalisateurs comme Tim Burton, Terry Gilliam ou Jean-Pierre Jeunet, qui ont fait carrière dans l’imaginaire et ont une identité visuelle forte, un style reconnaissable en quelques plans. Ils sont rares et en général ont un public fidèle, à juste titre. Le problème de Del Toro est que ses scénari n’étaient pas toujours au rendez-vous, ce qui a pu amoindrir le beau « Crimson Peak« . Cependant Blade 2, Les deux très bons Hellboy et Le Labyrinthe de Pan ont marqué chacun le genre fantastique.
Avec son lion d’Or remporté à Venise pour « La forme de l’eau« , le réalisateur mexicain signe à 53 ans son plus beau film, extrêmement réussi à tous les niveaux, à commencer justement par son point faible habituel, le scénario.
Chaque personnage est écrit avec finesse, et trouve dans le dispositif du film une place qui n’est jamais celle d’un simple faire valoir. Richard Jenkins (le père dans Six Feet Under) a un rôle à la fois empathique, drôle et émouvant dans cet homosexuel qui vit seul et cherche un amour impossible dans une Amérique intolérante et conservatrice. L’amie noire de l’héroïne représente une autre minorité maltraitée par cette Amérique blanche raciste des années 50 et 60. Mais ces laissés pour compte sont dépeints avec délicatesse, sans caricature ou trait forcé.
Le grand méchant est joué par un Michael Shannon au visage si expressif et flippant, représentatif du mâle Alpha dans toute sa splendeur et ses limites mentales dont la première est le manque d’imagination et de poésie. Guillermo Del Toro imprègne son long métrage d’un contexte historique comme dans L’échine du diable et Le Labyrinthe de Pan, renvoyant aux carcans d’une époque. Mais il rend aussi hommage à tout un pan du cinéma bis de ces années là, au premier rang desquels L’Etrange créature du lac noir dont est fortement inspirée le personnage amphibien du film.
Et puis il y a cette histoire d’amour, cette poésie entre Sally Hawkins, brillante en femme muette, pas très belle et cette créature subissant la torture d’humains trop cartésiens pour imaginer la différence. Guillermo Del Toro utilise son talent visuel, ses lumières et couleurs si particulières, baignées de bleu vert sous-marin. Mais il arrive surtout à nous conter une histoire qui aurait pu sombrer dans le ridicule complet alors qu’on contraire, son film décolle vers une légèreté, une finesse bluffante. Une scène de comédie musicale arrive avec une finesse exceptionnelle à faire s’envoler l’histoire vers de la pure poésie. Le film touche à l’universalité avec des messages simples, naïfs mais jamais faciles ou éculés.
L’émotion prends alors corps face à cette histoire de monstre et vous cueille quelques sourires et quelques larmes, gages de l’excellence de « La forme de l’eau ».
Le film est une belle fable féérique, loin du cynisme contemporain, qui parle de tolérance et couronne avec grâce l’un des grands réalisateurs de notre temps. Cet enchantement fera du film un classique.
La piste aux Lapins :
N°4 – « Hostiles » de Scott Cooper
Scott Cooper est l’un des excellents réalisateurs américains découvert ces dix dernières années. De son Crazy Heart avec Jeff Bridges, de son très beau Les Brasiers de la Colère avec Christian Bale à son Strictly Criminal où Johnny Depp retrouvait un rôle en or, à chaque fois sa direction artistique s’avérait d’une très grande finesse.
Ici le réalisateur s’attaque à une genre protéiforme dans l’histoire du cinéma américain, le Western.
Si ce n’est que là où son film est de facture classique dans sa mise en scène, toute la nuance vient de l’écriture des personnages. Christian Bale est comme toujours brillant dans le rôle de ce capitaine, héros de guerre ayant massacré des indiens et qui va peu à peu revenir sur cette déshumanisation qui a détruit sa vie peu à peu.
Alors qu’on lui confie le rôle de mener Yellow Hawk, chef de guerre Cheyenne mourant, sur ses anciennes terres tribales, ce dernier va se trouver confronté à ses fantômes. En premier lieu il sauve une femme dont la famille s’est faite massacrer par les Comanches, à laquelle Rosamund Pike donne une incarnation troublante. Puis ils vont survivre dans cet univers sans pitié où la mort frappe aveuglément jeune comme vieux, homme comme femme et enfants. Cette vie d’une dureté sans nom, que tout le groupe a connu et qui va s’abattre de nouveau au cours de leur voyage, va façonner une remise en question des préjugés des uns et des autres.
« Hostiles » est un magnifique film sur la rédemption, le remords, le pardon et l’instinct de vie.
Scott Cooper développe son récit avec une pudeur et une retenue rares qui donne au film un panache, au-delà de la superbe photographie du long métrage. En plus d’être un spectacle certes violent mais au suspens bien réel, le film a une autre dimension, mélancolique.
Il y a autant de styles de westerns que de réalisateurs différents s’y étant attardés. Bien souvent je subis de la part de spectateurs leurs a priori sur le western alors même qu’il est totalement faux de parler d’un genre. Celui que nous livre Scott Cooper est d’une profonde humanité, d’un regard triste sur la condition humaine et l’absence de limites dans l’horreur. C’est aussi un long métrage profondément poignant à plusieurs reprises, qu’il nous montre ces soldats vidés de leurs sentiments ou au contraire ces indiens déracinés qui arrivent à communiquer quand même avec l’envahisseur.
La fin du film est l’une des plus belles que j’ai vues depuis longtemps (hormis celle de Call me by your name), d’une classe folle qui bouleverse par sa justesse et son absence de didactisme.
Un grand film humaniste, épique et flamboyant.
Alors qui pour succéder à « 120 battements par minute » et « A Beautiful Day” ?
Voici le podium qui une fois n’est pas coutume, comporte quatre finalistes…
N°3 – « Les frères sisters » de Jacques Audiard
Avec un casting pareil et le défi que le plus grand réalisateur français du moment s’attaque au mythe du western, en langue anglaise, on pouvait légitimement craindre le pire.
Mais Jacques Audiard n’aime pas les westerns et a bien compris qu’il n’y avait pas un style mais que le genre était protéiforme. Le western a ceci de magique qu’il pose immédiatement un cadre, une époque, et permet à l’artiste d’y développer ses propres thématiques.
Non seulement Audiard réussit avec les « Frères sisters » à passer ces obstacles mais il livre un film très personnel, d’une grande humanité, où l’émotion est pudique mais prégnante.
On va donc suivre deux frères hors-la loi, interprétés par les excellents Joaquin Phoenix et John C. Reilly.
Phoenix est l’un des meilleurs acteurs au monde et nous le prouve de nouveau dans ce rôle d’homme qui n’a connu que la violence pour survivre et a entrainé son grand frère, fatigué de ces tueries et qui cherche à se poser et à trouver un sens à sa vie. John C. Reilly est magistral, d’une très grande finesse malgré sa stature de mâle brutal. Et quelle relation passionnante que cette fratrie qui se protège et se perd dans une course contre la mort.
On y voit l’Amérique ancienne du far west, une nation enfant qui a défriché ces terres dures par nécessité vitale mais qui a mis du temps à instaurer une société organisée à cause de la cupidité individuelle. Puis elle a laissé place à un monde de progrès, où le capitalisme a émergé mais la transition aurait pu être différente. C’est d’ailleurs l’énorme surprise du film que de voir ces deux mondes se confronter et se rencontrer et parler d’idéalisme. Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed sont le côté lumineux de cette médaille. Leur jeu est parfait pour montrer sans mots leur ambition de sortir de cet âge barbare. Mais ils se trompent sur la direction qu’il prendra et c’est d’autant plus déchirant.
Le réalisateur garde toujours une hauteur de vue, un regard bienveillant et empathique pour ses personnages. Il aurait pu se planter en tentant l’expérience américaine (i.e avec des acteurs et une langue qui n’est pas la sienne). En effet, nombre de ses illustres prédécesseurs s’y sont cassés les dents.
Et pourtant Jacques Audiard signe une pépite d’émotion, grave mais onirique, parfois drôle et plutôt portée vers la lumière. Son film a de la profondeur d’esprit et il est incarné par des acteurs au sommet. Il s’agit probablement de l’un de ses plus grands films, prouvant qu’il reste une pointure dans le cinéma français d’aujourd’hui.
La piste aux Lapins :
N°2 – « Woman at War » de Benedikt Erlingsson
Voici un film islandais vraiment excellent que je n’avais pas vu venir et qui s’avère être l’un des meilleurs films depuis le début de cette année 2018.
Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande… Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie…
Comment dire ? » Woman at War » a un charme irrésistible. Il est difficile de ne pas adhérer à cette héroïne complétement dingue qui risque sa vie et des années de prison pour monter l’opinion publique contre les pouvoirs publics et une industrie qui dévore notre planète sans se soucier des conséquences. Son terrorisme est communicatif car il est bienveillant et hélas voué à l’échec. Le réalisateur a plusieurs idées géniales. D’abord il utilise les paysages à couper le souffle de beauté de cette campagne et des glaciers d’Islande. Et pour un film voué à une cause écolo, c’est déjà un point d’acquis. Ensuite, il use d’un humour désopilant, burlesque, tout en second ou troisième degré avec des personnages tous droit sortis des fictions du Nord de l’Europe, tous en retenue pince sans rire mais viscéralement déterminés et humains.
Ce qui surprend c’est l’audace de cette mise en scène. Utiliser en contre champs un trio de musiciens free-jazz ou des chanteuses aux intonations blakaniques pour surligner l’état d’esprit du personnage principal, pourrait être ridicule car n’est pas Kusturica qui veut. Et bien là non seulement çà passe mais en plus, c’est carrément classe.
Son film est parfois poétique, souvent comique par l’absurde et vogue sur un réel suspens. Il n’adopte aucun genre à part celui de rester libre et indépendant comme son héroïne…et fatalement, il surprend.
« Woman at War » est un véritable coup de cœur car il sait rester léger et donne un grand souffle d’air frais. On en ressort en se disant qu’on a enfin vu une proposition de cinéma différente, avec du fond sur un récit d’aventures suffisamment farfelu pour créer une étrangeté particulièrement réussie, sans oublier d’être émouvant.
Une très très grande réussite que vous devez courir voir.
La piste aux lapins :
Palme du cœur et grand prix du jury du Blanc Lapin )
« L’homme qui tua Don Quichotte » de Terry Gilliam
Je suis enfin sorti de la projection de ce film que j’attends depuis 20 ans car c’est mon réalisateur favori, que son imaginaire m’a toujours cueilli et que j’ai vécu comme beaucoup ses multiples mésaventures durant deux décennies …18 ans d’obsession, un risque considérable d’être déçu car ce film je l’ai fantasmé…et je serai au « regret » de vous dire que je n’ai pas été déçu…et pourtant, on a beau adorer Gilliam, on n’en n’est pas pour autant moins exigeant, bien au contraire. Ses frères Grimm et son Zero Théorem m’avaient refroidis.
Pas assez ému peut-être, quelques longueurs au début mais une mise en place hyper originale et une difficile compréhension de cet accueil froid de certains critiques car le film a vécu une gestation des plus compliquées de l’histoire du cinéma et au final deux adjectifs s’imposent en sortant de la salle, « généreux » et « bordélique « !
Généreux parceque chaque scène se justifie et déborde d’énergie, d’inventivité faisant penser parfois à Tideland pour sa capacité à créer l’imaginaire à partir de bouts de ficelles et c’est un tour de force qui impose le respect. La presse qui a affublé le film de balourdise sur les migrants ou les attentats n’a rien compris au message qui est certes naïf mais qui correspond à l’esprit d’un roman comme Quichotte et sa réactualisation.
Le film est surprenant, avec si peu de moyens il arrive à montrer toute la folie du personnage, il est bourré d’idées et bordélique comme le roman et comme un film de Terry Gilliam. Et au final le style de Gilliam est là, tout du long et on a rarement eu l’occasion de côtoyer d’aussi près l’artiste, ayant limite l’impression d’être à ses côtés sur le tournage lorsqu’il a dû trouver des trésors d’ingéniosité pour palier à son budget serré. Et si la première partie peut sembler longue, elle a le mérite d’installer un regard moderne sur l’œuvre de Cervantès et de la rendre digeste là où tous les autres projets de cinéastes se sont ramassés sur Don Quichotte. Car adapter cette œuvre pourrait déboucher sur une succession de scènettes datées, inscrites dans l’inconscient collectif mais juste illustratives. Le fait que le film soit méta, qu’il parle de l’incroyable aventure de Gilliam sur 30 ans de galère donne du corps et de l’humain à des visions qui sinon n’auraient été que désincarnées.
Quand Terry Gilliam dit que l’approche de Cervantès rend fou et tourne à l’obsession et qu’au final c’était un passage obligé, c’est peut être vrai. « He did it » disaient des internautes sur Twitter lorsque à la fin de la projection en clôture du festival de Cannes, la salle a ovationné Gilliam durant 15 minutes. Son film est beau et a du panache y compris dans ses défauts et ses maladresses car il respire la persévérance et la capacité à se créer ces obstacles imaginaires, ces aventures de pacotille pour tenir un fil rouge, se fixer un cap et survivre même dans le ridicule. Cette scène de cheval de bois est magique pour ce qu’elle représente. De cette peur pour Gilliam de devenir un vieil homme risible aux ambitions éculées oui, mais aussi pour cette semi-conscience de la folie dans laquelle le personnage se met en scène lui-même. D’ailleurs la confession de l’avant dernière scène est bouleversante car elle instaure un doute, une double lecture comme souvent dans les fins d’un très bon Terry Gilliam. La fin est non seulement émouvante mais résonne longtemps après comme un hymne au fil directeur de toute une vie de cinéaste. Forcer le réel et les plus viles bassesses de l’humain pour y insuffler un peu de poésie et d’échappatoire. C’est naïf mais c’est touchant et sincère.
Les acteurs sont excellents. Jonathan Pryce a eu raison de tanner Gilliam si longtemps, il est parfait dans un rôle loin d’être évident. Voir l’acteur de Brazil incarner ce personnage iconique dans la carrière de Terry Gilliam est un symbole en soit. Quant à Adam Driver, il trouve le premier rôle de sa carrière qui lui permet d’exprimer son talent. Gilliam a toujours été doué pour ses castings. Malgré les multiples duos qu’a connu le film depuis son premier échec de tournage en 2000, il réussit à trouver une alchimie entre eux.
Les références au projet lui même sont une super idée.
Le film est un hymne testamentaire et un encouragement aux jeunes cinéastes, à la persévérance et à la nécessité de s’affranchir du tout commercial. Terry Gilliam a conscience qu’il touche à la fin de sa carrière et le film est très mélancolique car on a du mal à trouver qui reprendra son flambeau parmi les cinéastes d’aujourd’hui. Quichotte est vivant et Terry Gilliam est vivant aussi, profitons en! Soyez joyeux qu’il puisse encore nous émouvoir et l’histoire n’est pas terminée.
La patte de Gilliam est là à chaque instant, d’une inventivité bluffante.
Ce n’est pas le chef d’œuvre qu’on aurait pu espérer mais c’est un très bon film et c’est déjà énorme en soit ! Énorme que chez des spectateurs exigeants l’ayant espéré durant 20 ans, il ne provoque pas de déception mais au contraire une envie de revoir le film. Une critique anglo saxonne disait que le monde serait bien triste sans cette folie dont seul Terry Gilliam a le secret…
Je suis non seulement heureux d’avoir accompagné par l’esprit durant 20 ans cette œuvre, heureux que ce funambule m’ait donné un fil directeur et des géants à combattre pour pimenter mes rêveries et mon quotidien. Heureux enfin que le film existe, qu’il puisse désormais vivre pour lui et non plus pour la légende de sa production…qu’il puisse vieillir comme un bon cru et acquérir les lettres de noblesses qu’il ne manquera pas de conquérir comme bien d’autres films de Terry Gilliam, pas toujours compris à leur sortie. « Aujourd’hui est une magnifique journée pour l’aventure »… pour la première fois depuis 20 ans elle se fera sans fantasmer « L’homme qui tua Don Quichotte » et ça fait un peu bizarre, j’avoue. Une page se tourne et l’émotion vient car le message du film est plus que présent mais d’autres moulins s’annoncent au loin et au final, c’est le principal…
La piste aux Lapins :
N°1 – « Call me by your name » de Luca Guadagnino
Au début des années 1980, Elio, 17 ans, passe ses vacances dans la maison de famille de ses parents au Nord de l’Italie, entouré de son père, professeur spécialiste de la culture gréco-romaine, de sa mère, traductrice, et d’amis du village. Intelligent et fin voire érudit, Elio ne connait encore rien du sexe et de l’amour. Oliver, un américain étudiant en doctorat, est invité par son père à venir terminer ses études, logé chez eux durant trois semaines. Elio et Oliver vont d’abord de se rejeter avant de vivre une histoire passionnée.
Après un parcours en festivals triomphant depuis un an, voici enfin la romance gay « Call me by your name« . Il n’y a rien d’étonnant à ce que le grand James Ivory (Maurice, Les Vestiges du jour, Retour à Howards End) soit le scénariste de ce roman d’André Aciman, tant on retrouve ses thèmes de prédilection, des individus éduqués dont les désirs doivent rester cachés pour des raisons sociales.
Luca Guadagnino avait quant à lui surpris avec le superbe « Amore » avec Tilda Swinton, qui contait déjà une histoire de passion entre une femme mure et le meilleur ami de son fils. Avec « Call me by your name« , il signe un chef d’œuvre de subtilité, prenant son temps pour installer le désir, puis le sentiment, jouant avec notre impatience, y mettant même un certain suspens, et arrive à saisir des sentiments particulièrement complexes à traduire à l’écran.
Bien sûr, ses deux acteurs tout comme les parents joués par Amira Casar et Michael Stuhlbarg sont excellents. Ce dernier donne même l’une des scènes les plus poignantes du film, un discours de père à fils d’une profonde bienveillance, d’un recul sur la vie qui réchauffe le cœur au moment où le film vient de vous tirer les larmes les plus désarmantes.
« Call me by your name » n’est pas un film mièvre, ou facile et n’apporte son lot d’émotions qu’au terme de son histoire, mais de façon assez déconcertante de simplicité.
Tout le reste du film est l’histoire d’un éveil à la sensualité, au premier sentiment amoureux, à travers des détails, des regards, le trouble que provoque ce sentiment chez le personnage d’Elio. Timothée Chalamet est solaire dans ce rôle d’un jeune homme plutôt arrogant, qui sait qu’il est cultivé et qui ne cherche qu’à découvrir son premier amour. Il est surtout poignant dans la finesse de son jeu lorsqu’il exprime les sentiments qui l’assaillent. Un rôle loin d’être évident, qui évolue peu à peu par petites touches et qui doit probablement à une très bonne direction d’acteurs. Face à lui, Armie Hammer ne fait pas preuve d’un charisme de fou mais il incarne la masculinité brute, le sportif cultivé, séducteur et qui refoule son homosexualité aux yeux de la société.
C’est d’ailleurs un jeu de cache cache qui débute rapidement entre ces deux garçons qui sont surpris et curieux de cette rencontre. L’indolence des personnages, qui profitent de cet été gorgé de fruits, de littérature, d’archéologie, ainsi que le rythme doux et lent du film, laissent la place à l’observation du moindre détail des personnages. Le spectateur est en attente, en témoin impudique d’une histoire pourtant d’une extrême pudeur. C’est une mise en scène sophistiquée qui arrive à s’effacer derrière son sujet, à n’y laisser paraitre que la simplicité de ce genre d’histoire, universelle en soit et donc d’autant plus prenante. Certes, celles et ceux ayant connu la passion seront probablement plus sensibles au film que les autres.
Le réalisateur installe une tension dans ce duo lumineux, en distillant lentement des petits pas, montrant leurs hésitations, leurs doutes, les allers-retours entre ces personnages qui s’attirent puis se rejettent avant d’arriver vers le basculement du jeune homme. Ces sentiments sont tous exprimés avec une économie de mots au milieu d’un été radieux, avec un homo-érotisme pudique tout au long du film.
Luca Guadagnino va donc durant deux heures faire monter la passion devant nos yeux, de façon fluide. Il use du jeu de distance et de proximité des personnages dont la scène où ils se révèlent l’un à l’autre, autour d’une statue au milieu d’une place. Une scène qui résume à elle seule le talent de mise en scène qui nous tient en haleine.
Puis le réalisateur va donner la luminosité de l’apogée de cette passion, son vertige ainsi que le bonheur hors sol qui s’en dégage jusqu’au déchirement qu’elle provoque inévitablement. Le film passe d’une légèreté quotidienne de cet été où les personnages se jaugent à une charge émotionnelle qui finit par exploser.
La finesse du film résonne longtemps après la séance, à tel point qu’on aimerait prendre des nouvelles du petit Elio, tant le personnage est attachant, déchirant et désarmant face à ce qu’il vient de vivre. Il y a dans « Call me by your name » à la fois le bonheur du meilleur de la passion et son deuil impossible car il est la traduction de la perte d’une parenthèse enchantée, forcément magnifiée. Le sol se dérobe et pourtant la vie continue et on voudrait connaitre la suite tant Timothée Chalamet excelle d’intensité dans ce plan de fin de film. Malgré cette fin bouleversante, le pathos n’a pas de prise sur le film, ce qui est là aussi l’une des réussites bluffantes de »Call me by your name ».
Voilà, allez-voir ce film éblouissant d’humanité, de grâce, de simplicité qui vous imprégnera pour un long moment, ce qui est la marque des films majeurs.
La piste aux Lapins :
Et pour la 9ème fois, LE Podium du Blanc Lapin !
Merci à toutes et à tous et merci pour votre soutien.
Votre blanc lapin serviteur